Les arbres de la Liberté

L’arbre de la Liberté est à l’époque de la Révolution, l’un des symboles de la liberté fraichement acquise. Plantés, en général dans l’endroit le plus fréquenté, le plus apparent d’une localité, comme signes de joie et symboles d’affranchissement, ces végétaux devaient grandir avec les institutions nouvelles.

Un petit livre de l’abbé Grégoire, publié après le décret de pluviôse, l’Essai historique et patriotique sur les arbres de la Liberté, montre bien quelle place ce grave sujet tenait alors dans les préoccupations du public ! Le livre est divisé en six chapitres, dont les titres sont parlants :

I. Arbres sacrés chez les anciens.
II. Du chêne.
III. Emblèmes de la liberté.
IV. Arbres de la liberté.
V. Le chêne doit être préféré pour l’arbre de la liberté.
VI. Réflexions civiques sur l’arbre de la liberté.»

Le choix des arbres faisait alors l’objet de vives controverses : les uns préféraient le chêne, les autres le peuplier, dont le nom latin populus prêtait à un calembour symbolique. Grégoire penchait pour le chêne : “L’arbre destiné à devenir l’emblème de la liberté, dit-il, doit être en quelque sorte fier et majestueux comme elle ; il faut donc :
1- Qu’il soit assez robuste pour supporter les plus grands froids, sans quoi un hiver rigoureux pourrait le faire disparaître du sol de la République…
2- Il doit être choisi parmi les arbres de première grandeur…, car la force et la grandeur d’un arbre inspirent un sentiment de respect qui se lie naturellement à l’objet dont il est le symbole.
3- La circonférence doit occuper une certaine étendue de terrain…, ce qui le rendra plus capable de remuer les sens et de parler fortement à l’âme.
4- l’ampleur de son ombrage doit être telle que les citoyens trouvent un abri contre la pluie et les chaleurs sous ses rameaux hospitaliers.
5- Il doit être d’une longue vie…
6- Il faut enfin qu’il puisse croître isolément dans toutes les contrées de la République. Or le chêne, le plus beau des végétaux d’Europe, réunit… etc. ”

Conclusion : « L’arbre de la liberté croîtra ; avec lui croîtront les enfants de la patrie ; à sa présence ils éprouveront toujours de douces émotions… Là les citoyens sentiront palpiter leurs cœurs en parlant de l’amour de la patrie, de la souveraineté du peuple… »

« On vit dans toutes les communes des arbres magnifiques élever leurs têtes et défier les tyrans : le nombre de ces arbres se monte à plus de soixante mille car les plus petits hameaux en sont ornés, et beaucoup des grandes communes des départements du Midi en ont presque dans toutes les rues, ou même devant les  maisons. » (abbé Grégoire 1794)

République_française_1848_L'Arbre_de_la_liberte« L’arbre… métaphore de la République. L’arbre… de tous les rendez-vous de la liberté : 1792… 1848… 1870… et de leurs descendants. Ses racines de liberté, d’égalité et de fraternité et de justice portent sa frondaison au plus haut dont les semences emportent le message républicain à tout vent et en tout lieu pour que se multiplient les terres d’espoir et de liberté. »

Victor Hugo, le 2 mars 1848, déclarait sous les acclamations : « C’est un beau et vrai symbole pour la liberté qu’un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l’arbre dans le cœur de la terre ; comme l’arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l’arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c’est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s’est offert en sacrifice pour la liberté, l’égalité et la fraternité du genre humain. »

.L’arbre de la liberté ne saurait croître s’il n’était arrosé du sang des rois.
(Bertrand Barère de Vieuzac)

« Ces arbres symboles deviennent la cible des opposants de tous bords : ils furent mutilés, coupés, lacérés d’inscriptions royalistes… Dès l’origine, la liesse populaire, un peu folle, qui présidait aux fêtes de l’arbre avait un caractère de spontanéité suspect aux autorités organisées. Celles-ci, toutes révolutionnaires qu’elles fussent, n’eurent de cesse de légiférer sur les plantations. Ces arbres, plantés dans la plus stricte légalité, devinrent alors le symbole d’un régime honni par une partie de la population. Les délits se multiplièrent, à tel point qu’en l’an VII et en l’an VIII (1798-1800) bien peu avaient résisté. Le climat politique n’incitait plus à les défendre. Pendant le Consulat et l’Empire, beaucoup de ceux qui ont survécu sont rebaptisés arbres Napoléon, avant d’être de nouveau malmenés sous la Restauration. »

« Le symbole reprit évidemment de sa force en 1830 avec les trois Glorieuses, mais les arbres replantés à cette occasion furent rapidement arrachés. Toutefois, l’éradication dans les consciences ne pouvait être totale et les plantations continuèrent. Le pouvoir conseilla alors aux préfets de laisser faire dans la mesure où ces arbres ne portaient pas d’inscriptions ou d’objets, bonnets, lances…, qui pouvaient être autant de signes d’hostilité au régime en place. En 1848, une nouvelle vague de plantation fut brisée par le ministre de l’intérieur, Léon Faucher, et, en 1849, tous les arbres de la Liberté de Paris furent abattus. »

« Ces arbres ont donc rarement survécu aux vicissitudes des régimes. Ce n’est qu’au prix d’un changement de nom ou du remplacement d’un bonnet phrygien par une croix que certains purent traverser les bourrasques. Il reste actuellement quelques témoins des premières campagnes de plantation : l’arbre de Gahard, le platane de Bayeux, le marronnier de Vry… », le chêne de Nouâtre [1], le chêne de Tarnac [2], le chêne de Saint-Ouen les Vignes [3], ou encore le chêne de Monteil dans le Lot [4]…

Source : Robert Bourdu, Arbres souverains, pp.180-185.

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Retrouvé une étude intéressante sur l’arbre de la liberté. A partir d’un corpus de 518 textes des Archives parlementaires (1789-1794), l’auteur présente la mutation du mai traditionnel en arbre de la liberté, à la fois objet et symbole, arbre planté et idéalisé. Emblème de la révolution française, enrichi et modifié au cours des évènements historiques, défini par un Essai théorique de Grégoire en 1794, l’arbre de la liberté ne rompt jamais complètement avec ses origines pré-révolutionnaires.

Erik Fechner. L’arbre de la liberté : objet, symbole, signe linguistique, Mots, 1987, n° 1, pp. 23-42. Télécharger l’article intégral par ici (20 pages en .pdf).
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Pierre Bliard a consacré un chapitre entier aux arbres de la Liberté dans « Fraternité révolutionnaire » écrit en 1908, j’ai scanné les pages, à télécharger ici.

35 réflexions sur “Les arbres de la Liberté

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  4. Ping : Chêne de la Liberté, Monteil (Lot) « Krapo arboricole

  5. Ping : Tilleul du Gommkopf, Oderen (Haut-Rhin) « Krapo arboricole

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  7. Ping : Chêne de la liberté planté en 1790, Nouâtre (Indre-et-Loire) « Krapo arboricole

  8. Ping : Le platane de la liberté de Payré-sur-Vendée (Vendée) « Krapo arboricole

  9. Ping : Chêne pédonculé, Saint-Ouen-les-Vignes (Indre et Loire) « Krapo arboricole

  10. Ping : Peuplier de la Liberté, Poyols (Drôme) « Krapo arboricole

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  12. Extraits de l’Ode prononcée par Athanase Veau-Delaunay

    (Futur député à la Convention, Veau-Delaunay rédige ces vers alors que la situation extérieure et intérieure de la France tourne à la catastrophe : Louis XVI refuse d’établir une garnison de 20 000 fédérés aux portes de Paris pour défendre la capitale contre la menace austro prussienne. Les sans-culottes parisiens envahissent les Tuileries 3 jours plus tard en revendiquant le retrait au roi de son droit de veto)

    Pour la plantation de l’arbre de la Liberté le 17 juin 1792,

    D’après un document conservé aux Archives municipales de Tours

    Silence à vous voix mensongères
    Qui flattiez l’orgueil des tyrans.
    Cessez dans vos chants éphémères
    De diviniser les brigands.
    La Raison dissipe le songe,
    L’univers enfin se réveille,
    Les peuples vont prêter l’oreille
    Aux accents de la Liberté.
    […]
    Art qui sait forcer la nature
    A des bienfaits toujours nouveaux
    Ô libre et sainte agriculture
    Bénissons tes heureux travaux
    De notre été, de notre automne
    Riche Cérès, douce Erigone
    Multipliez pour nous les fruits
    Et de l’agriculteur habile
    Nous chérirons la main fertile
    Dont le soin les aura produits.
    Ô toi qui de tous est le père
    Adoré sous cent noms divers
    Être éternel et nécessaire
    Qui seul anime l’univers
    De la Liberté notre idole
    Cet arbre est pour nous le symbole,
    Protège le contre les ans,
    Que ton bras ne réduise en poudre
    Que les fourbes et les tyrans.
    Et nous que la loi seule enchaîne
    Citoyens, frères égaux
    Soyons à l’ombre de ce chêne
    Non moins unis que ses rameaux
    Que sa force un jour soit l’image
    De notre inflexible courage
    Et maintenir la Liberté
    Que souvent son feuillage donne
    Aux vertus l’auguste couronne
    Des héros de l’humanité.

  13. Ping : L’orme champêtre de Bettange (Moselle) « Krapo arboricole

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