Introduction
C’est peut être de ses entretiens avec Diviciacus, druide éduen dont on ne sait à quelle cause il était dévoué en plus de celle des Druides, que l’ancien flamine de Jupiter qu’était aussi César a tiré le plus clair de ses schématisations religieuses gauloises, s’iI est permis d’appeler ainsi le De Bello Gallico, au chapitre 16 du Livre VI.
César n’est pas toujours un modèle de précision. Il plaide pro domo et bouscule les détails. On sait par exemple ce qu’ont coûté d’encre et de salive ses topographies ambigües ou équivoques, d’Alesia et d’Uxellodunum. Ne cherchons pas cependant au proconsul une trop mauvaise querelle ce qu’il a écrit de la religion et des mœurs des Gaulois est probablement à considérer un « criticisme » moins aigu que ses informations militaires et les « retouches » de l’interprétation se doivent de ne pas mettre ses phrases à la torture préalable. Il vaut mieux chercher ailleurs une vérification solide, en dehors des arguties trop subtiles. C’est ainsi que César a inscrit l’incertitude, comme en beaucoup d’autres endroits, dans une des phrases les plus intéressantes de son chef-d’œuvre « chaque année à une certaine date ils (les druides) se réunissent dans le pays des Carnutes, qui passe pour le centre de la Gaule, dans un endroit consacré ».
Il eut été éminemment souhaitable que César daignât préciser la nature et l’aspect de ce locus consecratus. Forêt, plaine, clairière ? Nous ne savons et ne saurons jamais.
Mais la linguistique celtique, malgré son apparente indigence de documents anciens, vient fort à propos corriger et compléter le texte de César. Le celtique commun nemos « ciel » a fourni de nombreuses dérivations dont le nemeton [1] ou « sanctuaire » gaulois n’est pas le moindre. La toponymie gauloise en connaît d’innombrables exemplaires, une silva quae vocatur Nemet en vieux-breton ou des de sacris silvarum quae nimidas vocant de l’indiculus, sans préjudice de la correspondance avec le latin nemus « forêt sacrée » fournissent des repères suffisants et solides.
Si le Bellum Gallicum ne nous apporte pas la preuve absolue que le locus consecratus du pays carnute était une forêt sacrée, il est toutefois acquis, – définitivement acquis que le nemeton était d’essence sacrée et, quelle que soit la traduction a laquelle on accorde la préférence : « bois, clairière, forêt sacrée », – sans non plus que nous allions plus avant dans un domaine où les travaux forment un ensemble imposant et touffu, il est tout à fait caractéristique que l’irlandais ait un composé comme fidnemed « bois sacré » (vidu-neme-to-n). Le pléonasme ou la redondance ne sont pas ici aussi irritants qu’ils pourraient le sembler car, pour être bref, des centaines de toponymes, d’anthroponymes et de témoignages littéraires, épigraphiques ou archéologique attestent que la civilisation celtique était une civilisation du bois. A la suite de D’Arbois de Jubainville qui a jadis consacré un livre très suggestif aux druides et dieux à faces d’animaux on comblera une des plus graves lacunes des études religieuses indo-européennes en étudiant exhaustivement les rapports et les relations du règne animal et du règne végétal (ou accessoirement minéral) dans le très vaste monde de la Celtie antique et médiévale. Les rapports sont au moins aussi importants que ceux de l’eau et le feu dans un symbolisme bien construit.
Nous ne visons pas si haut dans le présent travail qui se bornera à regrouper des identités parsemées dans le mythe et l’histoire Si l’analyse est nécessaire pour préciser ce que la synthèse préalable aurait de trop intuitif, la synthèse, qui est en fin de compte le seul travail constructif, corrigera au fur et à mesure ce que l’analyse pourrait comporter d’excessif. Mais ce n’est pas un hasard si des peuplades celtiques se sont appelées les Eburons, les Lemovices, les Viducasses, ce n’est nullement un hasard si les controverses linguistiques et les plus minutieuses argumentations philologiques et étymologiques ne parviennent pas à choisir, dans le nom des druides, (druida), entre les « hommes du chêne » et les « voyants », choix probablement très inutile. Dans l’ancienne Irlande, on a tendance à trop souvent négliger ce fait, c’étaient les druides qui « baptisaient ». Il devait en être de même en Gaule et, sans qu’on ait autrement besoin d’en discuter l’origine, c’est encore beaucoup moins que tout le reste le résultat d’un hasard si le très ancien alphabet oghamique représente une écriture sacrée gravée sur bois.
L’anthropomorphisme, religieux ou non, ne constitue pas en soi une fin théologique ou métaphysique. Mais quand on voudra interpréter conjointement tous les faits relatifs à la civilisation du bois il constituera une étape intermédiaire, supérieure. C’est dire combien il faudra s’élever, dans le cas des Celtes, très largement au-dessus de la vague dendrolâtrie et du zoomorphisme qui ne sont que des masques extérieurs, exotériques. Ce n’est pas au niveau inférieur et quelque peu dégradé des superstitions populaires qu’une religion s’explique clairement, c’est dans sa pensée pure, et pour en avoir un reflet, il faut bien aller au fond du symbolisme. Lire la suite