Ask & Embla, Yggdrasil, Lif & Lifthrasir

Depuis la création du blog, je n’ai de cesse de faire des allers-retours dans diverses mythologies. quelques pages abordent la mythologie nordique : un article fut consacré au frêne Yggdrasil [1], d’autres évoquaient Odin [2][3] ou Baldr [4].

Afin de vous présenter Ask et Embla, le premier couple d’humains créé par les Dieux, il me paraissait important de revenir sur la chronologie de cette fresque, où vous que le verrez, le destin de l’humanité fut intimement lié à celui des arbres.

« Le cosmos doit sa cohérence et sa solidité à un axe quasi inébranlable. Il s’agit d’un arbre gigantesque, un frêne askr (mais comme il nous est présenté toujours vert, certains auteurs parlent d’un if). Son nom est Yggdrasil, il est l’arbre-centre du monde, le support de l’Univers qu’il répète, résume et symbolise. Nous admirons sa majesté et sa puissance, mais nous le savons menacé comme le monde qu’il soutient. »

Au tout début était le Ginnungagap « le vide béant » :

C’était au premier âge
Où il n’y avait rien,
Ni sable, ni mer,
Ni froides vagues.
De terre il n’y avait pas
Ni de ciel élevé.
Béant était le vide
Et d’herbe nulle part.
(Völupsa, strophe 9, trad. Régis Boyer,
la religion des anciens scandinaves, pp-52&169.)

Mais ce vide béait entre les deux mondes, Niflheimr, la sphère du froid et de l’humide au nord, et Muspellsheimr, la zone de la chaleur, de la sécheresse au sud. La rencontre de ces deux éléments opposés va faire surgir le monde. Des glaces tombées de Niflheimr et du feu provenant du Muspellcheimr naît le géant hermaphrodite Ymir. C’est lui qui va, avec les membres de son corps, constituer l’univers.
Puis Ymir, en dormant, préside à la naissance de deux êtres, l’un masculin, l’autre féminin, tandis que des ses pieds il engendre un fils. Au bout de deux générations, apparaît la première triade de dieux, Odin, et Vili.

« Odin, Vili et Vé sont aussi à l’origine de la création de l’homme. Ayant trouvé deux souches d’arbre le long du rivage de la mer, ils les façonnèrent pour former deux êtres humains (Ask : le frêne, et Embla : orme ou sarment de vigne). Odin leur donna le souffle et la vie, Vili l’intelligence et le mouvement, Vé l’apparence, la parole, l’ouïe et la vue. Ils leur donnèrent aussi des vêtements, et les nommèrent Ask et Embla. »

ask.jpgemblastor.jpg

Toutefois, dans la Völupsa, c’est une triade de dieux différente qui crée les premiers êtres humains : si Odin en fait toujours partie, Vili et Vé sont remplacés par Hoenir et Lodur. Lire la suite

Le frêne Yggdrasil, mythologie nordique

« L’origine du monde est souvent représentée par un arbre ayant les racines dans le ciel. Il représente la force universelle qui se déploie dans la manifestation. Elle part des racines cachées, d’en haut et se manifeste dans le tronc, les branches, le feuillage et les fruits ; les racines obscures contiennent potentiellement toutes les semences. »

L’arbre-monde dans la mythologie nordique, est représenté par le frêne Yggdrasil, le plus grand et le meilleur des arbres. Son nom signifie le « destrier du Redoutable », ygg – le redoutable représente ici Odin, le « père de tous les dieux », celui de la guerre.

yggdrasil1.jpgyggdrasil2.jpg

Yggdrasil a trois racines très larges qui le maintiennent droit. La première plonge dans Åsgard, le monde inférieur des Ases, des dieux. La seconde, dans le royaume des hommes, créé à partir des « Thurses de givre », les géants de glace qui précédèrent l’espèce humaine. La troisième rejoint Niflheim, le « monde des ombres », le séjour des mort, qui existait avant la création du monde.

La première racine provient de la source de Hvergelmir, située en Niflheim, source de tous les fleuves. L’eau souterraine, d’où nait toute vie, provient donc de l’habitat des morts.
La deuxième naît dans la fontaine de Mimir, située en Midgard. Cette fontaine est censée contenir la source de toute sagesse. Elle est gardée par le dieu Mimir.
Enfin, la troisième racine provient du puits d’Urd, en Ásgard, lequel puits est gardé par trois Nornes, des vieilles sorcières très sages et craintes par les dieux ; cette racine est rongée par le gigantesque serpent Nídhögg, lui-même attaqué par l’aigle.

Yggdrasil est aussi l’hôte d’autres personnages. Un aigle est perché dans ses branches et un faucon, Vedrfölnir, est perché entre ses yeux. La chèvre Heidrun, vit près du sommet de l’Arbre, et se nourrit de ses feuilles, et donne son lait aux guerriers d’Odin. Le cerf Eikthyrnir broute aussi les rameaux et de ses cornes ruisselle l’eau qui tombe dans Hvergelmir. Finalement, un écureuil Ratatosk, court sans cesse dans l’Arbre, transmettant les défis mutuels que se portent le serpent Nídhögg et l’aigle (dans certaines versions, à la cime de l’arbre se tient un coq d’or surveillant l’horizon).

Cet arbre-monde grandiose, symbolise la lutte continuelle entre les forces de vie et les puissances de destruction à l’œuvre dans le monde. Odin dieu de la guerre, n’est devenu un maitre de sagesse et de connaissances occultes, qu’après trois épreuves initiatiques ; dont deux sont en rapport direct avec Yggdrasil. [1]

Lorsque vient « la fin du monde », le « Raganarök », la plupart des dieux périrent dans le combat contre le puissant loup Fenrir. Durant ce cataclysme, Yggdrasil sera fortement secoué, mais non pas abattu ; mais de ses racines naquit un nouveau couple d’humains, les ancêtres de l’humanité nouvelle. [2]

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Voici quelques écrits concernant cet arbre mythique,  mais comme il nous est présenté toujours vert, certains auteurs parlent d’un if ou d’un chêne.

« Yggdrasill, axis mundi et universalis columna qui soutient le monde au centre duquel il est érigé. Il est, en effet, source de toute vie comme le montre la faune nombreuse qui prolifère à son ombre ou dans sa ramure : c’est à son pied que seront sauvés Lif, la Vie et Lifthrasir, Ardent-de-vivre, le couple humain qui échappera miraculeusement au cataclysme universel des Ragnarök. Source encore de tout savoir, comme le montre la source, coulant à son pied, sur laquelle règne le géant Mimir, et dans laquelle O∂inn a mis en gage un de ses yeux afin d’acquérir la science des choses suprêmes. Et source de toute destinée puisque c’est en bas de son tronc que s’étend une autre source à laquelle président les Nornes ou divinités de tout destin : chaque être humain en possède une. Yggdrasill, dont le nom signifie « cheval d’O∂inn », est donc Mjö∂vi∂r, l’arbre de l’hydromel, symbole de vie, Mimamei∂r, la poutre de Mimir, gage de tout savoir, et Mjötvi∂r, arbre de toute évaluation fatidique. Il est possible qu’il soit une figuration du géant fondamental Heimdallr, dont le nom signifie « pilier du monde » qui règne sur la temporalité et présidera à la fin des temps, ou encore de Jörmungandr, autre nom du Grand Serpent qui enserre dans la boucle de son corps le monde existant et en assure la cohérence : il en serait en quelque sorte la figure verticale, mais on remarquera que ce Jörmungandr est littéralement une baguette magique géante. »

Régis Boyer, La mythologie nordique, mai 2003 [3]
___ Lire la suite

La pendaison à l’arbre, rite initiatique

Dans un des poèmes des Eddas, Odin s’exprime ainsi :

« Je fus pendu, je le sais
A l’arbre battu du vent,
Neuf jours et neuf nuits.
Je fus frappé d’une lance
Et donné à Odin
Sacrifié moi-même à moi-même. »

Odin se (sus)pend à l’Arbre Yggdrasil afin d’acquérir davantage de pouvoirs magiques. Ce rite est assimilable à ceux pratiqués par les chamans d’Irlande ou d’Asie du Nord. Blessé par lui-même Odin, en se privant d’eau et de nourriture, subit la mort rituelle, initiatique, celle à travers laquelle on obtient la connaissance suprême : celle des runes qui sont le langage secret de l’autre monde.

« Ils ne me firent l’aumône
Ni de viande ni d’une goutte d’eau
J’abaissais les yeux,
Je les saisis en criant,
Puis je retombais. »

Les yeux d’Odin qui découvrent les runes ne sont plus ses yeux de chair, mais les yeux de l’esprit. En renonçant à la vue physique, Odin est devenu un voyant. C’est seulement parce le héros ne voit plus la lumière physique, qu’il est admis à contempler la lumière divine. Délivré par la force magique des runes, Odin malgré son abstinence (jeûne), se sent rempli d’une nouvelle jeunesse, il est ressuscité, devenu le dieu non seulement des guerriers, mais des poètes et des sages, c’est-à-dire des chamans.

***

Cela fait penser à Jésus, pendu au bois de la Croix, le corps transpercé par la lance du légionnaire, puis ressuscité ? Si pendant longtemps, on a cru que le récit du sacrifice d’Odin avait été inspiré par la passion du Christ. Les historiens ont depuis renoncé à cette interprétation, car ce n’est pas pour sauver l’humanité souffrante qu’Odin se pend, mais nous l’avons vu, pour acquérir plus de pouvoirs.

Jésus-Psautier de Paris EadwineCette illustration, image du Sauveur crucifié à l’envers, la tête en bas, provient du psautier de Paris Eadwine (Latin MS 8846). Il n’est pas impossible que les concepteurs du psautier aient voulu souligner quelque chose qui constituait, à leurs yeux, une réalité mystique confirmée mais interdite par le contrôle religieux. Quelle que fut leur intention, cette image est unique et ne peut être comparée à rien de semblable dans l’art religieux de cette époque. (John Lamb Lash, sur Liberterre ici)

Le penduLe Pendu est la douzième lame majeure du Tarot. Dans les lectures du Tarot, le Pendu peut être sujet à de nombreuses interprétations: complexé, à savoir stressé et névrosé ou bien être pris dans un dilemme ou bien auto-sacrifice de nature cosmique ou ésotérique. Quelles que soient ses connotations nombreuses, le Pendu soulève indubitablement la notion de l’inversion et suggère que tout n’est pas comme il semble l’être et que la réalité est peut-être à l’opposé de nos conceptions.

« Le Pendu manifeste la fécondité du sacrifice volontaire, de l’oubli de soi, il représente l’âme du mystique qui se dégage de la matière afin de rejoindre le monde spirituel. Ayant renoncé à l’exaltation de ses énergie propres, le mystique s’efface pour mieux recevoir les influences cosmiques, dans le dessein de promouvoir la régénérescence. » (Jacques Brosse, la mythologie des arbres)