Rendez-vous pareils à l’arbre

« Voyez l’arbre devant votre porte,
Il laisse les oiseaux se brancher ou s’envoler.
Quand ils viennent à lui, il ne les a pas appelés,
Quand ils prennent leur vol, il ne les retient pas.
Rendez-vous pareils à l’arbre ;
Vous n’irez pas contre la Voie. »

Lung-ya kiu-tun (835-923), disciple de Tung-shan, le fondateur de l’école Ts’ao-tung (Sôtô). Cité par Jacques Brosse dans son ouvrage « L’esprit du zen », chapitre III, Le tch’an et la poésie.

Moine Myoe - Enichibo Jonin - 13e siecle

Le moine Myōe pratiquant zazen (méditation assise) au cœur d’un pin vénérable nommé Nawadoko, situé non loin du temple de Kōzan-ji où le moine est venu se retirer pour les dernières années de sa vie.

Peinture sur rouleau 13e siècle – attribuée à son disciple, le moine Enichibō Jōnin. Trésor national japonais, conservée au Temple Kōzan-ji.

Le vieux arbre et le jardinier

Un jardinier, dans son jardin,
avoit un vieux arbre stérile ;
c’étoit un grand poirier qui jadis fut fertile :
mais il avoit vieilli, tel est notre destin.

Le jardinier ingrat veut l’abattre un matin ;
le voilà qui prend sa cognée.
Au premier coup l’arbre lui dit :
respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit
que je t’ai donné chaque année.

La mort va me saisir, je n’ai plus qu’ un instant,
n’assassine pas un mourant
qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine,
répond le jardinier ; mais j’ai besoin de bois.

Alors, gazouillant à la fois,
de rossignols une centaine
s’écrie : épargne-le, nous n’avons plus que lui :
lorsque ta femme vient s’asseoir sous son ombrage,
nous la réjouissons par notre doux ramage ;
elle est seule souvent, nous charmons son ennui.

Le jardinier les chasse et rit de leur requête ;
il frappe un second coup. D’abeilles un essaim
sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête,
écoute-nous, homme inhumain :
si tu nous laisses cet asyle,
chaque jour nous te donnerons
un miel délicieux dont tu peux à la ville
porter et vendre les rayons :
cela te touche-t-il ? J’ en pleure de tendresse,
répond l’avare jardinier :
eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier
qui m’a nourri dans sa jeunesse ?

Ma femme quelquefois vient ouir ces oiseaux ;
c’en est assez pour moi : qu’ils chantent en repos.
Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance,
je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton.

Cela dit, il s’en va, sûr de sa récompense,
et laisse vivre le vieux tronc.

Comptez sur la reconnoissance
quand l’intérêt vous en répond.
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Une fable de Jean-Pierre Claris de Florian – Illustration de J.J. Grandville.

Ouvre ton écorce, arbre

Ouvre ton écorce, arbre,
Prends-moi dans ton écorce…

Les jours ont passé un par un,
Les jours ont passé deux par deux,
Nous nous sommes nourris d’amour,
Et de souffrance et de deuil.

M’ont déjà fatigué
Les jours amples ou étroits,
M’ont déjà fatigué
Coupables et innocents,
M’ont déjà fatigué
Cette légère tristesse
Et ces malheureuses nostalgies.
Alors, ouvre ton écorce, arbre,
Prends-moi dans ton écorce !

Prends-moi dans ton écorce,
En ce siècle sans fleurs ;
Je vais me fondre en toi
Comme un petit printemps,
Comme un chagrin secret,
Au fond de tes feuilles,
Je brillerai même triste
Et entrerai dans un profond sommeil.

Et que les vents viennent,
M’arrachent de tes mains,
Moi, je m’éveillerai, mon arbre,
Nous tonnerons ensemble.

Moi, je serai poussé avec toi,
Moi, je me courberai avec toi,
Et de l’emprise des vents
Je me délivrerai avec toi.

Et une nuit secrète,
Quand tous dormiront,
Je te répéterai des paroles magiques ;
Nous irons tout doucement
Nous nous lèverons en tapinois
Et rendrons insomniaque
Celle qui dort.

Dans son rêve,
Un arbre ensorcelé
Prendra forme humaine ;
Il soufflera tout bas,
Et d’une langue humaine,
Comme une merveilleuse légende,
Il lui confiera
Un immense amour perdu,
Et une infinie nostalgie.
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Razmig Tavoian (poète arménien) –  Traduction par Louise Kiffer.

« Marisol’s Dream » Scherer & Ouporov 2005 – Jenkins Johnson Gallery, New York City.

Ginkgo Biloba

La feuille de cet arbre qui de l’Orient
A été confié à mon jardin
Donne à apprécier un sens caché
Capable d’édifier l’initié.

Est-ce un seul être vivant
Qui s’est scindé en lui-même ?
En sont-ce deux qui s’élisent
Au point qu’on les connaît comme un seul ?

Pour répliquer à de telles questions
J’ai sans doute trouvé le vrai sens :
Ne ressens-tu pas, à mes chants,
Que je suis un et double ?

Ginkgo Biloba - Johann Wolfgang von Goethe

Johann Wolfgang von Goethe, extrait du Divan occidental-oriental, traduction Serge Meitinger.
Le poème est dédié à Marianne von Willemer. La date figurant sur le manuscrit n’est pas celle de la composition du poème, mais celle d’une rencontre à la Gerbermühle qui l’a inspiré.
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« un et double » l’intuition de Goethe était peut-être justifiée…

L’algue du ginkgo

La première algue vivant en symbiose avec un végétal supérieur a été découverte : elle a choisi le plus ancien d’entre eux, le Ginkgo biloba.

Le Ginkgo biloba, fossile végétal vivant, est le seul survivant de l’ordre des ginkgoales qui a atteint son apogée à la fin du Jurassique et au début du Crétacé, il y a quelque 200 à 150 millions d’années. Cet arbre, contemporain des dinosaures, intrigue les botanistes. Ses feuilles bilobées sont en éventail, vestige de son lointain passé. Ses gamètes mâles sont mobiles et attestent d’un mode de reproduction en environnement aqueux, proche de celui des fougères. Il est très résistant aux insectes, à la pollution atmosphérique ou encore aux rayonnements ionisants : à Hiroshima, un ginkgo a résisté à la déflagration du 6 août 1945. Enfin, il dispose d’une exceptionnelle longévité : le plus vieux a 3 000 ans et se trouve au Temple Dinlinsi dans la province de Shandong, en Chine. Qui plus est, Jocelyne Trémouillaux-Guiller (UPRES-EA 2106) à l’Université François Rabelais de Tours, a découvert, dans des cellules de ginkgo, une algue unicellulaire qui vit en symbiose avec son hôte.

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Le chêne – Alphonse de Lamartine

Voilà ce chêne solitaire
Dont le rocher s’est couronné,
Parlez à ce tronc séculaire,
Demandez comment il est né.

Un gland tombe de l’arbre et roule sur la terre,
L’aigle à la serre vide, en quittant les vallons,
S’en saisit en jouant et l’emporte à son aire
Pour aiguiser le bec de ses jeunes aiglons ;
Bientôt du nid désert qu’emporte, la tempête
Il roule confondu dans les débris mouvants,

Et sur la roche nue un grain de sable arrête
Celui qui doit un jour rompre l’aile des vents ;
L’été vient, l’Aquilon soulève
La poudre des sillons, qui pour lui n’est qu’un jeu,
Et sur le germe éteint où couve encor la sève
En laisse retomber un peu !
Le printemps de sa tiède ondée
L’arrose comme avec la main ;
Cette poussière est fécondée
Et la vie y circule enfin !

La vie ! à ce seul mot tout œil, toute pensée,
S’inclinent confondus et n’osent pénétrer ;
Au seuil de l’Infini c’est la borne placée ;
Où la sage ignorance et l’audace insensée
Se rencontrent pour adorer !

Il vit, ce géant des collines !
Mais avant de paraître au jour,
Il se creuse avec ses racines
Des fondements comme une tour.
Il sait quelle lutte s’apprête,
Et qu’il doit contre la tempête
Chercher sous la terre un appui ;
Il sait que l’ouragan sonore
L’attend au jour !.., ou, s’il l’ignore,
Quelqu’un du moins le sait pour lui !

Ainsi quand le jeune navire
Où s’élancent les matelots,
Avant d’affronter son empire,
Veut s’apprivoiser sur les flots,
Laissant filer son vaste câble,
Son ancre va chercher le sable
Jusqu’au fond des vallons mouvants,
Et sur ce fondement mobile
Il balance son mât fragile
Et dort au vain roulis des vents !

Il vit ! Le colosse superbe
Qui couvre un arpent tout entier
Dépasse à peine le brin d’herbe
Que le moucheron fait plier !
Mais sa feuille boit la rosée,
Sa racine fertilisée
Grossit comme une eau dans son cours,
Et dans son coeur qu’il fortifie
Circule un sang ivre de vie
Pour qui les siècles sont des jours !

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Aime enfin les arbres

« Si jamais tu t’aperçois que ta révolte s’encroûte et devient une habituelle révolte, alors,

Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de l’inconforme. »

Léo Ferré « Il n’y a plus rien » de l’album éponyme sorti en 1973.