L’arbre Jinmenju – 人面樹

En découvrant cet arbre légendaire du Japon, j’ai tout de suite été saisi par le lien de parenté stylistique évident avec l’arbre Waq Waq [1], ou avec l’arbre devin rencontré par Alexandre le Grand [2]. Un arbre du monde arabo-persan dont les légendes semblent avoir suivi les hommes sur la roue de la soie.

L’arbre Jinmenju (arbre à visage humain) a été décrit pour la première fois dans l’encyclopédie japonaise Wakan Sansai Zue compilée par Terajima Ryōan en 1712 (période Edo). Ce docteur d’Osaka décrit un arbre étrange qui pousse bien au-delà des îles japonaises, au sud de la Chine.

« Entre les vallées et les montagnes de ce pays, il y a un arbre dont les fleurs sont comme des têtes humaines. Elle ne disent rien et rient. Quand elles ont ri sans discontinuer, elles tombent. »

Ninmenju, Wakan Sansai Zue, 1715, volume 15 « barbares extérieurs », cadre 24/67.

Cette description a été reprise en 1781 par Toryama Sekien dans son bestiaire fantastique et surnaturel Konjaku Hyakki Shūi. L’auteur dit quasiment la même chose, mais omet le personnage qui regarde l’arbre, et n’indique pas le pays, ce qui est logique puisque Sekien veut mettre en avant l’arbre et non son contexte

Toryama Sekien, Konjaku Hyakki Shūi, Jinmenju, volume 1, 1781. Lire la suite

La passe de Mishima dans la province de Kai 甲州三嶌越

La passe de Mishima dans la province de Kai

Le tronc majestueux d’un cèdre immense divise verticalement la composition qui évoque des scènes de la vie quotidienne : un paysan se repose en fumant sa pipe ; sur la droite, quelques passants empruntent un sentier étroit.

Au centre, trois voyageurs semblent mesurer la circonférence de l’arbre en l’encerclant de leurs bras. S’agit-il là d’un rituel destiné à vénérer cet arbre gigantesque ? La Tradition shintoïste attribue en tous cas un esprit divin aux forces de la nature dont l’attitude des voyageurs, rend, peut-être compte. Le contraste des petites figures humaines avec les formes naturelles énormes révèle l’empathie de Hokusai avec les pèlerins.

Katsushika Hokusai, Les Trente-six vues du Mont Fuji, 16e vue : « La passe de Mishima dans la province de Kai » (1831-1833).

L’arbre d’Ôji

« De nuit, sous un ciel étoilé, la veille du Nouvel An, des renards phosphorescents, accompagnés de mystérieuse flammeroles, se rassemblent sous un grand arbre à Ôji, au nord d’Edo, près du sanctuaire shintô d’Inari, la divinité du riz. »

Les feux des renards à la veille du Nouvel An sous l'arbre d'Ôji

« D’après la légende, les renards, messagers d’Inari et gardiens du temple, étaient dotés de pouvoirs surnaturels : bien que traditionnellement regardés au Japon comme des animaux nuisibles, les renards étaient censés se donner rendez-vous la nuit du dernier jour de l’année sous un micocoulier (팽나무 – Celtis sinensis), pour protéger la récolte du riz et conjurer le mauvais sort ; alors émanaient d’eux des feux follets qui brûlaient à leur côté comme autant de flambeaux alimentés par leur haleine. Les paysans formulaient des vœux : du nombre de flammeroles devait dépendre l’abondance de la récolte à venir. Lorsque mourut le grand arbre de l’époque de Hiroshige, les habitants décidèrent d’en planter un nouveau vénéré de nos jours encore. »

Hiroshige – Les « Cent vues d’Edo »
« Les feux des renards à la veille du Nouvel An sous l’arbre d’Ôji »
118e planche de la série (119 planches, 1856-1859), vers 1857, 9e mois de l’année du serpent.
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Jocelyn Bouquillard, conservateur au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France, Exposition « L’estampe japonaise, images du monde flottant ».

Le bois sacré au Japon

Le shintoïsme est avant tout une attitude devant la vie qui se traduit par le respect de la nature dans sa force et sa beauté. Ses adeptes vénèrent les kami. Ceux-ci peuvent être définis comme toutes les forces qui dépassent l’Homme et la compréhension ordinaire, et qui suscitent vénération et crainte.

Les kami sont innombrables et se retrouvent partout incarnés dans la nature. Cela peut être les astres : soleil, lune… ; des phénomènes naturels : typhon, des lieux : montagne, rivière, des éléments de la nature : arbre, rocher ; mais aussi des êtres vivants ou morts tel les animaux sauvages. De fait le sanctuaire shintô « primitif », c’est la nature, inviolée ou reconstituée. Les kami ne sont intrinsèquement ni bon, ni mauvais, mais à l’image de la nature, leur caractère est ambigu. Les croyants cherchent donc à se préserver de leur arami-tama (« esprit de violence ») par des cérémonies appropriées.

Taikodani Inari - Sacred Tree - Jonathan DresnerA l’origine il n’existait pas de bâtiments particuliers pour vénérer les kami. Ceux-ci étant supposés résider selon les mythes dans différents endroits : les plaines du ciel (takamaga-hara), l’au-delà des mer (tokoyo), l’au-delà souterrain (yomi no kuni). Il s’agit là des lieux habituels de résidences des kami. Cependant les kami descendent, le temps des rites, dans certains éléments, éléments à l’origine de la nature d’où l’absence dans le shintô primitif de sanctuaires bâtis. Encore actuellement des sanctuaires, appelés honden, sont dépourvus de bâtiments cultuels et considérèrent la montagne comme « corps de la divinité », shintai.

De même, il se trouve encore dans certains sanctuaires des shimboku, arbres du dieu, qui désignent les arbres qui abritent une divinité. Il se distingue souvent par la corde de paille de riz, shimenawa, qui entoure leur tronc. Plus encore qu’un abri pour une divinité le shimboku peut être le corps, shintai, de la divinité principal d’un sanctuaire. On retrouve aussi, au centre du bâtiment principal de certains sanctuaires la survivance de cet arbre sacré au travers d’un pilier central, shin no mihashira. Ce pilier planté dans le sol est l’objet du culte en tant que support des dieux.

“Nous avons oublié ce que nos ancêtres appelaient un bois sacré, nous avons enfermé nos croyances dans des temples de pierre et nous n’avons plus permis à la nature d’élever notre âme que par le détour de son Créateur. Mais, ici, sa grande voix faite de recueillement et de mystère chante mélancolique et profonde, angoissante pour nous, comme la voix de je ne sais quels remords. Nous avons voulu exalter par nos richesses l’ardeur de croire, et la nature humilie notre pauvreté humaine parce que, sans effort, sa voix monte plus haut. Pénétrons les voûtes d’ombre.
Partout, au Japon, il se rencontre des bois sacrés. Dans la campagne, comme des taches au milieu du vert pâles des rizières, vous voyez leurs ombres noires, quelques rochers entre lesquels un escalier moussu serpente sous un manteau de pins. Le torii, aux lignes à la fois élégantes et sévères, marque l’entrée sainte d’un lieu sacré. Ce n’est qu’un cadre de bois frustre, dont en bas les montants s’évasent, et dont en haut le faîte s’incurve et se relève légèrement aux deux extrémités. Mais sa majesté est immense.” (F. Joüon des Longrais, Extrême-Asie, Ed. Pierre Roger, 1927)

Le mot japonais ancien Mori, qui signifie “un bois”, peut décrire un bois sacré ou un temple. Les bosquets sacrés au Japon sont généralement associés à des sanctuaires shintoïstes, et sont situés partout au Japon. Le cèdre du Japon (Cryptomeria japonica) est un arbre considéré comme sacré, et est à ce titre vénéré dans le Shintoïsme [1][2].

Parmi les bosquets sacrés associés à une telle jinjas ou sanctuaires shinto est la zone de 20 hectares boisés associés à Atsuta Shrine à Atsuta-ku, Nagoya. Les 1500 hectares de forêt associée au Sanctuaire Kashima ont été déclarés “zone protégée” en 1953. Aujourd’hui, elle fait partie de la Kashima Wildlife Conservation Area. Les bois comprennent plus de 800 sortes d’arbres et abritent une grande biodiversité animale et végétale.

Tadasu no Mori est un terme général pour une région boisée associée à la Kamo-jinja, qui est un sanctuaire Shintoïste près des rives de la rivière Kamo, dans le nord de Kyoto. L’étendue de la forêt d’aujourd’hui englobe environ 12,4 hectares, qui sont conservés comme un site historique national. Le Sanctuaire Kamigamo et le Sanctuaire Shimogamo, avec d’autres Monuments historiques de l’ancienne Kyoto (Kyoto, Uji et Otsu), ont été classés au patrimoine mondial depuis 1994.

Le Utaki (sites sacrés souvent associés avec les lieux de sépulture) sur Okinawa sont fondées sur la religion Ryukyu, Et sont généralement associées à toun ou kami-Asagi – les régions dédiées aux dieux, où les gens n’ont pas le droit d’aller. Les bois sacrés sont souvent présents dans de tels lieux, mais aussi dans les Gusukus (des zones fortifiées qui contiennent des sites sacrés en leur sein).
Le Seifa-utaki a été désigné comme patrimoine mondial par l’UNESCO en 2003. Il se compose d’une caverne triangulaire formée par des rochers gigantesques, et contient un bois sacré avec des essences rares comme les arbres indigènes Kubanoki (une sorte de palmier) et le yabunikkei (une forme de cannelle sauvage). L’accès direct à la forêt est interdit.

La photo m’a été prêtée par Jonathan Dresner, historien et spécialiste du Japon [3].
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Consulter la liste des 10 plus belles forêts sacrées au Japon, voir ici

Les trois arbres du bonheur, Japon

Le jardin japonais, issu de la tradition antique japonaise, se trouve aussi bien dans les demeures privées, dans les parcs comme dans les lieux historiques : temples bouddhistes, tombeaux shintoïstes, châteaux. Au Japon, l’aménagement de jardins est un art important et respecté. Le jardin japonais cherche à interpréter et idéaliser la nature en limitant les artifices.

Dans la tradition japonaise il existe trois arbres du bonheur,  : Sho – le pin, Shiku – le bambou (pas celui que l’on connaît, mais une variété de bambou bas)  et Bei – le prunier.

Ces trois arbres se retrouvent fréquemment dans les jardins de Daimyo (noblesse japonaise) et particulièrement dans celui-là : Koishikawa Kōrakuen (le plus vieux parc de Tokyo) puisqu’il représente le plaisir persistant.

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La première vue du jardin doit être le pin. Lire la suite