L’arbre inversé en Islam

Des illustrations inédites de l’arbre Thoubaa [1], représenté ici en arbre inversé.

Manuscrit turc T 464, folio 102r, 1798 – conservé à la Chester Beatty Library.


Manuscrit turc T 463, folio 98, 1798, conservé Chester Beatty Library.

Un grand merci aux équipes de la Chester Beatty Library pour leur enthousiasme et leur aide plus que précieuse.

Crédit Images: Chester Beatty. CC BY-NC 4.0

Une curiosité de l’enfer musulman : l’arbre Zaqqoum

En découvrant la riche iconographie du Mi’râdj nâmeh [1], la ressemblance entre le Zaqqoum [2] , l’arbre infernal des musulmans, avec deux arbres fabuleux présentés sur le blog : l’arbre Waq Waq [3] et l’arbre du Soleil et de la Lune [4], était évidente. Mais comment aborder ce thème sans s’en tenir au simple lien de parenté stylistique ?

Laissez-vous conter ces trois arbres par Anna Caiozzo (Maître de conférences, Université de Paris), son étude vous mènera des enfers au paradis, sur la trace d’anciennes légendes et de cosmologies primitives, de simples voyageurs jusqu’à Alexandre le Grand ; une plongée à la découverte de ce type d’arbres dans l’imaginaire du monde musulman proche-oriental.

Le Zaqqoum, arbre de l’enfer

En atteignant les tréfonds de l’enfer, Muhammad, porté par al-Burâq et précédé de l’ange Gabriel, arrive devant le Zaqqoum, un arbre à trois grosses branches dotés de très longues épines, où se dressent en guise de fruits des têtes d’animaux sauvages ou fabuleux dont certains sont reconnaissables : dragon, ours, serpent, lion, éléphant, panthère, dromadaire, renard. Un démon à peau bleue et aux yeux rouges, la tête auréolée d’une flamme, à demi vêtu d’un pagne orange, portant un collier, des anneaux aux oreilles et aux poignets, en est le gardien. Au pied de l’arbre se dresse un brasier dans lequel des bourreaux coupent la langue d’hommes agenouillés, des docteurs de la loi dont les crimes furent de tromper le peuple en buvant du vin et en commettant de nombreux péchés.

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L’arbre Zaqqoum est donc une créature hybride, un végétal zoomorphe, une sorte de curiosité ou de merveille s’offrant au voyageur de l’au-delà, qui peut s’interroger sur la fonction exacte de son aspect tératomorphe : est-il prodige ou présage, fantaisie de l’artiste ou tourment réel de l’eschatologie musulmane ?

Si par bien des aspects, les représentations de ce voyage relèvent du merveilleux inhérent au texte ou de l’imagination personnelle de l’artiste (forme et couleurs des anges, structure et composition des cieux, types de démons), l’arbre Zaqqoum, lui existe bel et bien, tant dans le Coran que dans la réalité.

Concernant l’arbre, le texte qui accompagne la miniature raconte :

Je vis au milieu de l’enfer un arbre qui embrassait dans ses dimensions un espace de cinq cents ans de route. Ses épines étaient comme des lances et ses fruits ressemblaient à des têtes de div (démons). Gabriel me dit : « Cet arbre est le Zaqqoum dont le fruit est plus amer que le poison. Les habitants de l’enfer le mangent, mais il ne reste pas dans leurs entrailles qu’il ne fait que traverser. »

Mais l’auteur ne précise pas à quelle catégorie de pêcheurs sont destinés les fruits de l’arbre. En revanche, d’autres sources nous éclairent sur ce point : le Coran cite le Zaqqoum comme étant l’arbre maudit, il est ensuite présenté comme un châtiment :

N’est-ce pas un meilleur lieu de séjour que l’arbre de Zaqqoum Nous l’avons placé Comme une épreuve pour les injustes ; C’est un arbre qui sort du fond de la fournaise ; Ses fruits sont semblables à des têtes de démons. Les coupables en mangeront Ils s’en empliront le ventre Puis ils boiront un mélange bouillant Et ils s’en retourneront dans la fournaise.

L’artiste a respecté l’esprit du texte sacré en représentant les fruits comme des têtes d’animaux fabuleux, sans pour autant les dessiner en démons. Serait-ce parce que ces derniers sont les bourreaux officiels de l’enfer ou parce qu’il s’inspire d’un modèle d’arbre en particulier ? L’arbre Zaqqoum dont les fruits brûlent l’estomac et engendrent la soif est un tourment destiné à une catégorie de pêcheurs mal identifiés et dont on ne connaît pas les crimes précis. Ibn ‘Abbâs dans sa relation du Mi’râj donne une information supplémentaire :

Puis je vis des femmes accrochées par leurs cheveux dans l’arbre de zaqqoum, de l’eau chaude se déversant sur elles si bien que leurs chairs se cuisaient, et je dis : « Qui sont celles-là ? Ô mon frère ! Ô Djibrail ! » Il dit : « Ce sont des femmes qui absorbaient des remèdes afin de tuer leurs enfants, par crainte d’avoir à les nourrir et à les élever ».

L’arbre de Zaqqoum aux fruits dangereux aux propriétés abortives serait donc le supplice des femmes infanticides, qui avaient avorté, ou qui étaient susceptibles de l’utiliser pour avorter, ce qui dénote un lien direct entre le crime et le supplice comme c’est le cas des autres supplices de l’enfer musulman.

On pourrait penser à la vue de l’arbre hybride, qu’il relève du registre des animaux fabuleux tourmenteurs (tels les scorpions géants ou les serpents venimeux) appartenant aux temps eschatologiques. or, d’un point de vue naturaliste, au vu de la flore de l’Arabie de l’époque du Prophète et des espèces végétales croissant en milieu semi-désertique, deux espèces végétales au moins correspondent au Zaqqoum. Il s’agit d’une part d’une variété d’euphorbe résineuse cactoïde (euphorbia resinifera) répandue au Maghreb, dont la sève, irritante au contact de la peau, a des propriétés purgatives avérées dans les pharmacopées traditionnelles. L’autre espèce végétale, qui s’en approche davantage par l’aspect extérieur, serait la variété d’acacia capparis spinosa, un câprier à grandes épines lui aussi très répandu dans le monde méditerranéen et dont les fruits oblongs présentent une certaine analogie avec de petites têtes de démons.

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On peut remarquer que le Zaqqoum est l’une des rares espèces végétales peuplant les enfers, alors que les arbres abondent comme il se doit au paradis. Le plus notable est, à cet égard, son nom exact contraire, l’arbre de la félicité appelé Thoubaa et décrit comme étant le lotus ou le jujubier de l’extrême limite, le Sidrat al-Muntahâ. Il est l’arbre de vie par excellence apparenté à l’arbre cosmique ou axe du monde décrit entre autres par le mystique Ibn ‘Arabi qui, lui, fait de l’arbre de vie un rameau de l’arbre du monde :

Puis le Lotus de la Limite fut déterminé comme étant l’un des rameaux issus de cet Arbre sous lequel se tient celui qui respecte le service dû à cette branche […]

Cet arbre au pied duquel coulent les quatre grands fleuves du paradis, dont les branches sont d’émeraude et de perles, porte des fruits exquis réservés aux bienheureux. Il est à la limite du septième ciel et on le représente souvent comme étant inversé et ayant ses racines dans les cieux.

On peut noter que les deux arbres sont disposés en vis-à-vis, aux extrémités des cieux et des terres (c’est-à-dire les enfers), l’un étant l’arbre  des supplices qui punit, affame et assoiffe, l’autre l’arbre de vie et d’éternité.

L’arbre Waq-Waq du royaume des femmes

Le second arbre qui présente une analogie visuelle avec le Zaqqoum est l’arbre Waq-Waq dont, comme le dit fort justement Marthe Bernus-Taylor dans la notice du Catalogue L’étrange et le merveilleux en terre d’Islam, s’inspire visiblement le peintre du Zaqqoum. Lire la suite

Mi’râdj nâmeh – Le Livre de l’ascension du Prophète

Lorsque je vous avais présenté les arbres dans le Coran [1], j’avais illustré mon article d’une calligraphie de Lassaâd Métoui car je n’avais pu retrouver de représentation de ces arbres mythiques. Il y a peu, sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, j’ai découvert un magnifique manuscrit timouride, le manuscrit supplément turc 190, comportant deux textes rédigés en langue turque tchaghataï et calligraphiés  en écriture ouighoure par le copiste Harû Malek Bakhshi ; le premier intitulé Mi’râj  Nameh, est un texte anonyme relatant L’Ascension céleste du Prophète Muhammad, le second est un compendium de biographies de soufis célèbres, Le Mémorial des Saints du persan Farid al-Din Attar. Ce manuscrit fut copié à Hérat en Asie centrale en 1436 sous le règne du souverain timouride Shâh Rukh, petit-fils du grand Timûr Leng, mécène éclairé et amateur d’art.

Outre la remarquable qualité des illustrations qui l’accompagnent, le texte du Mi’râj Nâmeh est une traduction d’un ouvrage persan intitulé Le chemin du paradis. Les 57 miniatures, qui, pour l’essentiel, n’ont jamais été étudiées, retracent les étapes de l’ascension nocturne du Prophète Muhammad mentionnée dans quelques sourates du Coran (XVII,1 et LIII).
Une nuit de l’an 618, l’ange Gabriel vint chercher dans son sommeil le Prophète Muhammad à La Mecque et, lui offrant comme monture al-Burâq, l’accompagna à Jérusalem, sur l’esplanade du temple de Salomon ; après avoir été reçu par les prophètes bibliques, ses prédécesseurs, il s’envola vers les cieux depuis les rochers dont les califes omeyyades firent un martyrium, la Qubbat al-Sakhrah ou Dôme du Rocher. Ascension mystique ou voyage réel, les autorités religieuses du monde musulman eurent du mal à se prononcer sur ce point bien que l’Ascension du Prophète demeure fondatrice pour l’Islam.

Si le manuscrit supplément turc 190 nous présente des éléments relevant du merveilleux, voire issus de l’imagination de peintre, d’autres sont des faits reconnus de l’eschatologie musulmane et mentionnés dans le Coran. Deux enluminures ont retenu mon attention, l’une décrit l’arbre Thoubaa, le sidrat al-muntahâ (folio 73) ;

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la seconde décrit l’arbre infernal, le Zaqqoum, al-shajara al-mal’unâ (folio 112).

Si vous aimez les enluminures, découvrez le site de l’association Enluminor, une sorte de musée virtuel spécialement dédié à l’enluminure ; vous verrez le choix de pays, d’époques et/ou de manuscrits est assez impressionnant, c’est par ici.

Sans oublier Mandragore, la collection des manuscrits enluminés de la Bibliothèque Nationale de France ; actuellement la base de données contient plus de 50.000 notices accompagnées d’une image numérisée, à consulter par ici.

Les arbres dans le Coran

Le terme shajar (ashjâr au pluriel) désigne dans le vocabulaire coranique aussi bien les arbres proprement dits que tout végétal, plus précisément « ce qui pousse avec une tige grosse ou fine ». Certains arbres sont désignés, comme l’olivier, le palmier dattier, le grenadier, l’acacia et le figuier, mais d’autres comme l’arbre du paradis n’y sont pas identifiés.

Le Coran affirme qu’ils sont une grâce dont Dieu a fait don aux hommes, grâce à l’eau qu’il répand et qui est le plus souvent associée à la vie. Cette grâce est de deux ordres : elle est la manifestation miraculeuse de la beauté et le don divin de la subsistance accordée aux hommes. Les arbres sont aussi le signe de l’impuissance des hommes à produire d’eux-mêmes la beauté de la nature, comme le rappelle la sourate al-naml (27,60).

Houbb ilâhi - Lasaâd Métoui

La Tradition considère que les végétaux furent créés en troisième après la terre et les montagnes, et comme toutes les choses créées, les arbres sont supposés se prosterner devant Dieu, se remémorer Dieu et proclamer sa gloire. Ils ont parfois été utilisés par le Prophète comme métaphores pour décrire les hommes, et un de ses propos déclare par exemple que le palmier est l’arbre qui ressemble le plus à l’homme et qu’il a été créé de la même argile qu’Adam. Les traditions insistent aussi sur l’importance de planter des arbres, et en font l’une des aumônes les plus nobles ; elles rapportent plusieurs cas où Mahomet aurait interdit de couper les arbres de certaines zones considérées sacrées à Médine et à La Mecque. Le Coran utilise abondamment les végétaux pour ce qui concerne  la  vie  des  hommes,  dans  la mesure où ils leur assurent une subsistance naturelle, et dans ses descriptions eschatologiques. L’utilisation  métaphorique   du végétal pour parler des hommes permet de désigner « les arbres excellents » dont les racines sont saines, qui poussent vers le ciel et donnent de bons fruits à chaque saison,  et « les arbres mauvais »,  plantes éphémères sans racines, faciles à arracher (14, 24-26). De même que les arbres sont associés à la vie et à l’eau et qu’ils fournissent de nombreuses images pour décrire l’atmosphère du paradis, certains arbres sont associés à l’enfer et à ses châtiments.

Le paradis est désigné par le terme janna qui signifie jardin, il est doté de multiples végétaux qui procurent une ombre apaisante et fraîche et de fruits dont les élus se délectent sans efforts. Les arbres du paradis donnent aussi des plats cuisinés faits de viandes et de volailles délicieuses, bien que cuites sans être bouillies ou rôties, et exhalant des parfums de musc et d’ambre. La description de ces mets accumule les métaphores tirées du monde végétal, soulignant ainsi par hyperbole l’importance extrême attachée au végétal dans la compréhension de la récompense promise aux croyants.

Les arbres du paradis sont d’un vert sombre, le vert jouant un rôle symbolique important dans l’islam, et le Coran mentionne parmi eux le lotus, le grenadier, le palmier, la vigne, l’acacia à gomme, le bananier sauvage et des plantes aromatiques. Un arbre du paradis porte sur chacune de ses feuilles le nom de chaque homme, et quand un individu doit mourir, « sa » feuille tombe. Certains ont identifié cet arbre au lotus, une mention qui renvoie aussi à l’une des conceptions que le Coran offre de la création et à la résurrection des hommes : le processus est comparé à la germination et à la croissance des plantes, de même que la littérature concernant l’ascension céleste du Prophète compare la naissance des houris à l’apparition des plantes.

Des traditions attribuées au Prophète indiquent en outre que les arbres et les pierres attestent de sa prophétie, et une tradition en particulier mentionne un arbre nommé al-shajara al-sumra auquel il se serait référé pour prouver sa qualité de prophète à un Bédouin qui l’interrogeait, et qui aurait prononcé cette attestation trois fois.

Des arbres spécifiques sont mentionnés dans le Coran, souvent au moyen de périphrases : Lire la suite

L’arbre des prophètes – Islam

Selon l’islam, Dieu a fait connaître son message à travers ses messagers, les prophètes. Mahomet est le dernier d’une longue lignée de prophètes, représentée par cet arbre « généalogique ». Au bas du tronc est le nom du père de l’humanité, et le premier prophète : Adam. Suivi des autres prophètes, Noé, Salih, Abraham, Joseph, Moïse et Jésus.

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L’arbre est couronné par une grosse fleur en haut à droite, il s’agit là de Mahomet.

Je trouvais l’illustration jolie ; la symbolique est belle : musulmans, juifs et chrétiens ensemble sur le même arbre, issus du même tronc. À méditer, nous ne pouvons couper une des branches car nous risquerions de perdre la racine équivalente, et ainsi nous mettre en péril. Laissons donc toutes les branches de l’arbre s’épanouir en paix et fructifier.

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