« Quand les services de renseignement diabolisent une action de préservation de la forêt« , Benjamin Sourice – Basta 24 septembre 2020.
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En Corrèze, une association a tenté d’acquérir tout à fait légalement un bout de forêt, pour en préserver l’écosystème et la protéger des coupes rases. Mais c’était sans compter sur les services des renseignements et la gendarmerie qui ont fait capoter le projet, en agitant l’opportune et fantasmatique figure du « zadiste anarchiste écologiste ». La forêt n’y a pas survécu.
Le département de Corrèze est l’un des plus forestiers de France, avec la moitié de sa surface couverte par des forêts multi-essences. Elles sont composées de feuillus – chêne, châtaignier, hêtre… – et de résineux – sapins, pins, douglas. Ce manteau boisé est menacé par des coupes rases pour laisser place à des forêts industrielles faites de monoculture de pins douglas, mais aussi par l’extension de terres agricoles. Ces forêts, majoritairement privées (à 75 %), sont morcelées en de petits lots difficiles à exploiter qui se cèdent de génération en génération.
Pour tenter de les préserver, l’association Faîte et Racines voit le jour en juillet 2018, à l’initiative d’une poignée d’habitants marqués par les coupes rases qui ne laissent aucun arbre derrière elles. Elle propose alors une solution innovante : « Lancer des achats collectifs de forêts menacées de destruction pour préserver le milieu forestier, les écosystèmes et les paysages. » Pour ce faire, elle collecte des dons de particuliers.
Racheter la forêt pour préserver les écosystèmes et les paysages
En septembre 2018, l’association découvre une pépite de biodiversité sur la commune de Saint-Paul, à une vingtaine de kilomètres de Tulle. Un particulier y met en vente un bois de 8,5 hectares. « La parcelle de Saint-Paul avait à la fois un intérêt écosystémique et forestier : un écosystème forestier stable avec de multiples essences à divers stade de maturité, avec des arbres centenaires, chose peut courante dans le secteur, mais aussi des plus jeunes compris entre 70 et 20 ans. Cela permettait aussi d’expérimenter une gestion douce de la forêt, c’est à dire de prendre en compte l’usage de la forêt dans le temps long, de penser l’avenir en choisissant de prélever tel ou tel arbre pour permettre ensuite une régénération », explique Sylvain, membre historique de l’association.
Faîte et Racines compte aussi des biologistes amateurs ayant relevé l’intérêt de ces « vieux arbres creux qui offraient une multitude d’habitats pour la faune, la flore et les champignons ».
À l’automne 2018, l’association présente sa démarche au vendeur, par ailleurs ancien maire de la commune, qui se dit « intéressé de vendre à ces jeunes sympathiques qui ne [veulent] pas couper ». Les mois suivants, il leur ouvre sa propriété pour réaliser un audit exécuté par des forestiers indépendants, au cours duquel sont déterminés les superficies, les essences présentes et leur cubage, afin de fixer un juste prix. Début 2019, l’association entame un travail de communication, d’abord localement par des visites publiques de la forêt, et en installant des stands d’information sur les marchés, afin de faire connaître son action et son appel à dons pour racheter les forêts menacées.
En avril 2019, cette opération originale attire l’attention des médias et des réseaux sociaux. « Nous avons reçu des sommes de toute la France et de particuliers vivant aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande ou encore en République tchèque. C’est la magie d’internet ! » indique à l’époque Alexandre Prisme, l’un des fondateurs [1]. L’association réussit à collecter 53 505 euros, une somme suffisante pour racheter la parcelle et alimenter sa trésorerie en vue de futures acquisitions. Rendez-vous est ensuite pris avec une notaire, le compromis de vente est rédigé. Mais, en juin 2019, à quelques jours de la signature, la vente est soudain suspendue par le vendeur. Le dialogue, jusqu’alors cordial, est rompu.
Pour les services de police, il s’agirait « d’anarchistes écologistes, qui vont amener des nuisances » Lire la suite