« Préjudice écologique : les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? » Bastamag – Catherine Larrere – 20 Novembre 2017.
En France, le préjudice écologique est reconnu. La Charte mondiale de la nature affirme que « toute forme de vie est unique et mérite d’être respectée ». La Nouvelle-Zélande a reconnu la personnalité juridique d’un fleuve protégé par les Maoris. La Bolivie a adopté une « Loi sur les droits de la Terre-Mère »… Dans ces conditions, « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? ».
C’est ce que se demandait déjà un juriste états-unien, Christopher Stone, en 1972, dans un texte qui a contribué de façon décisive à la prise de conscience de la valeur de la nature face aux prédations économiques. Ce texte vient d’être publié pour la première fois en français par les éditions du Passager clandestin. Basta ! vous propose un extrait de la préface de la philosophe Catherine Larrère de cette première édition française.
Le 15 mars 2017, le parlement néo-zélandais a accordé le statut de personne juridique au fleuve Whanganui, qui se trouve sur le territoire d’une communauté maori, désignée comme son représentant légal. Dans la foulée, le 20 mars 2017, la haute cour de l’État himalayen de l’Uttarakhand, en Inde, a décrété que le Gange et la Yamuna, où les hindous pratiquent des ablutions, seraient désormais considérés comme des « entités vivantes ayant le statut de personne morale » et les droits correspondants.
Ces décisions ont montré l’actualité de « Les Arbres doivent-ils pouvoir plaider », cet article d’un professeur de droit de l’Université de Californie du Sud, Christopher Stone, qui, dès 1972, avait proposé de faire de la nature un sujet de droit, en donnant à des entités naturelles – en l’occurrence des arbres – la possibilité de plaider en justice par l’intermédiaire de représentants. L’article, s’il a paru scandaleux à certains, a cependant eu un retentissement durable.
En 1971, l’affaire fondatrice de Walt Disney contre les séquoias
À la fin des années 1960, la société Walt Disney projeta d’installer une station de sports d’hiver dans une vallée de Californie du Sud, nommée Mineral King et célèbre pour ses séquoias. Le Sierra Club, association de protection de la nature fondée à la fin du XIXème siècle par l’écrivain John Muir s’opposa au projet et engagea une action en justice. En septembre 1970, la cour d’appel de Californie rejeta la demande du Sierra Club au motif qu’il n’avait pas d’intérêt à agir : il ne pouvait pas arguer d’un préjudice personnel. L’affaire devait venir en délibéré devant la Cour suprême des États-Unis à la fin 1971.
C’est là qu’intervient l’idée de Stone : sans doute les membres du Sierra Club ne sont-ils pas personnellement atteints par le projet de Walt Disney. Mais les arbres, eux, sont menacés de disparaître. Si leur cause pouvait être personnellement plaidée par un représentant désigné, ils pourraient avoir gain de cause, et le projet serait rejeté. L’article, montrant que cette idée était cohérente et pouvait être mise en oeuvre, fut rapidement écrit et accepté par la Southern California Law Review à temps pour que les juges de la Cour suprême puissent en avoir connaissance avant même sa publication en 1972.
L’appel du Sierra Club fut finalement rejeté (par quatre voix et deux abstentions), mais une minorité de trois juges fut d’avis contraire et, parmi ceux-ci, le juge Douglas, défenseur connu de la protection de la nature, se rallia aux arguments de Stone qu’il cita dans son opinion dissidente. L’affaire, disait-il, au lieu d’être désignée comme Sierra Club v. Morton (Morton était le secrétaire d’État à l’Intérieur de l’époque), devrait être rebaptisée « Mineral King v. Morton », ce qui reviendrait à conférer aux objets environnementaux un droit d’agir en justice pour leur propre compte. Pourquoi, continuait-il, ne pas ouvrir les tribunaux états-uniens aux « rivières, aux lacs, aux estuaires, aux plages, aux crêtes montagneuses, aux bosquets d’arbres, aux marais et même à l’air » ?
S’ils perdirent cette fois là, ceux qui s’opposaient au projet l’emportèrent finalement : découragée par les retards entraînés par les poursuites judiciaires, la société Walt Disney abandonna son projet et, en 1978, le Congrès intégra la Mineral King Valley dans le Sequoia National Park. Lire la suite