Les noms de Pyrame et Thisbé sont mentionnés pour la première fois par Hygin, qui rapporte simplement leur suicide. Mais c’est Ovide qui, dans ses Métamorphoses, donne le premier leur légende : Pyrame et Thisbé sont deux jeunes Babyloniens qui habitent des maisons contiguës et s’aiment malgré l’interdiction de leurs pères. Ils projettent de se retrouver une nuit en dehors de la ville, sous un mûrier blanc. Thisbé arrive la première, mais la vue d’une lionne à la gueule ensanglantée la fait fuir ; comme son voile lui échappe, il est déchiré par la lionne qui le souille de sang. Lorsqu’il arrive, Pyrame découvre le voile et les empreintes du fauve : croyant que Thisbé en a été victime, il se suicide. Celle-ci, revenant près du mûrier, découvre le corps sans vie de son amant et préfère se donner la mort à sa suite.
C’est de là que viendrait la couleur rouge des mûres. De fait, dans la tradition latine, le terme de Pyramea arbor (« arbre de Pyrame ») était parfois utilisé pour désigner le mûrier.
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Pyrame, le plus beau des jeunes gens, et Thisbé, qui éclipsait toutes les beautés de l’0rient, habitaient deux maisons contiguës, dans cette ville superbe que Sémiramis entoura, dit-on, de remparts cimentés de bitume. Le voisinage favorisa leur connaissance et forma leurs premiers nœuds ; leur amour s’accrut avec le temps, et ils auraient allumé le flambeau d’un hymen légitime, si leurs parents ne s’y étaient opposés ; mais leurs parents ne purent empêcher que le même feu n’embrasât deux cœurs également épris. Leur amour ne se confie à personne : il n’a pour interprètes que leurs signes et leurs regards ; et leur flamme plus cachée ne brûle qu’avec plus d’ardeur au fond de leurs âmes. Une fente légère existait, depuis le jour même de sa construction, dans le mur qui séparait leur demeure ; personne dans une longue suite de siècles, ne l’avait remarquée ; mais que ne découvre pas l’amour ? Vos yeux, tendres amants, furent les premiers à la découvrir ; elle servit de passage à votre voix, et par elle un doux murmure vous transmit sans danger vos amoureux transports. Souvent Thisbé d’un côté, et Pyrame de l’autre, s’arrêtaient près de cette ouverture pour respirer tour à tour leur haleine : « Mur jaloux, disaient-ils, pourquoi servir d’obstacle à nos amours ? Que t’en coûterait-il de permettre à nos bras de s’unir, ou, si ce bonheur est trop grand, pourquoi ne pas laisser du moins un libre passage à nos baisers ? Cependant, nous ne sommes pas ingrats ; c’est par toi, nous aimons à le reconnaître, que le langage de l’amour parvient à nos oreilles ». Debout l’un vis-à-vis de l’autre, ils échangeaient ainsi leurs plaintes ; quand la nuit venait, ils se disaient adieu, et chacun de son côté imprimait sur le mur des baisers qui ne pouvaient arriver au côté opposé.
Le lendemain, à peine l’aurore a-t-elle chassé les astres de la nuit, à peine les rayons du soleil ont-ils séché le gazon baigné de rosée, qu’ils reviennent au rendez-vous accoutumé. Après de longues plaintes murmurées à voix basse, ils décident qu’à la faveur du silence de la nuit ils essaieront de tromper leurs gardes et de fuir leur demeure, résolus, dès qu’ils en auront franchi le seuil, à sortir aussi de la ville ; et, pour ne pas errer à l’aventure dans les vastes campagnes, ils conviennent de se réunir au tombeau de Ninus et de se cacher sous le feuillage de l’arbre qui le couvre. Là, en effet, chargé de fruits plus blancs que la neige, un mûrier, à la cime altière, s’élevait sur les bords d’une fraîche fontaine. Ce projet leur sourit : le jour, qui semble s’éloigner lentement, se plonge enfin au sein des flots, et de ces flots la nuit sort à son tour. D’une main adroite, au milieu des ténèbres, Thisbé fait tourner la porte sur ses gonds : elle sort, elle échappe à ses gardes, et, couverte d’un voile arrive au tombeau de Ninus, et s’assied sous l’arbre désigné ; l’amour lui donnait de l’audace.
Voilà qu’une lionne, la gueule encore teinte du sang des bœufs qu’elle a dévorés, vient se désaltérer dans les eaux de la source voisine. Aux rayons de la lune, la vierge de Babylone, Thisbé, l’aperçoit au loin ; d’un pas tremblant elle fuit dans un antre obscur ; et dans sa fuite elle laisse tomber son voile sur ses pas. La farouche lionne, après avoir éteint sa soif dans ces ondes abondantes, regagne la forêt : elle trouve par hasard ce voile abandonné et le déchire de ses dents sanglantes. Sorti plus tard, Pyrame voit la trace du monstre profondément empreinte sur la poussière et la pâleur couvre son visage.
Mais bientôt, à la vue du voile ensanglanté de Thisbé : « La même nuit, s’écrie-t-il, verra mourir deux amants : elle, du moins, était digne d’une plus longue vie ! Le coupable, c’est moi ; c’est moi qui t’ai perdue, infortunée, moi qui t’ai pressée de venir pendant la nuit dans ces lieux où tout inspire l’effroi ; et je n’y suis point venu le premier !… Ah ! mettez mon corps en lambeaux et punissez mon forfait en déchirant mes entrailles par vos cruelles morsures, ô vous lions, hôtes de ces rochers ! Mais les lâches seuls désirent la mort ».
A ces mots il prend le voile de Thisbé et l’emporte avec lui sous l’arbre où Thisbé dut l’attendre ; il arrose de ses larmes ce tissu précieux ; il le couvre de ses baisers : « Reçois mon sang, dit-il, il va couler aussi ». Alors il plonge dans son sein le fer dont il est armé, et, mourant, le retire aussitôt de sa blessure fumante. Il tombe renversé sur la terre, et son sang jaillit avec force. Ainsi le tube de plomb, quand il est fendu, lance en jets élevés l’eau qui s’échappe en sifflant par l’étroite ouverture, frappe les airs et s’y fraie un passage. Arroses par cette pluie de sang, les fruits de l’arbre deviennent noirs, et sa racine ensanglantée donne la couleur de la pourpre à la mûre qui pend à ses rameaux.
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