La guerre végétale, Tite-Live, 216 av JC.

Au milieu de toutes ces mesures, on apprit une nouvelle défaite. La fortune accumulait tous les désastres sur cette année. L. Postumius, consul désigné, avait péri en Gaule avec toute son armée. Il y avait une vaste forêt, que les Gaulois appellent Litana, et où il allait faire passer son armée. À droite et à gauche de la route, les Gaulois avaient coupé les arbres, de telle sorte que tout en restant debout ils pussent tomber à la plus légère impulsion. Postumius avait deux légions romaines ; et du côté de la mer supérieure il avait enrôlé tant d’alliés qu’une armée de vingt-cinq mille hommes le suivait sur le territoire ennemi.
Les Gaulois s’étaient répandus sur la lisière de la forêt, le plus loin possible de la route. Dès que l’armée romaine fut engagée dans cet étroit passage, ils poussèrent les plus éloignés de ces arbres qu’ils avaient coupés par le pied. Les premiers tombant sur les plus proches, si peu stables eux-mêmes et si faciles à renverser, tout fut écrasé par leur chute confuse, armes, hommes, chevaux : il y eut à peine dix soldats qui échappèrent. La plupart avaient péri étouffés sous les troncs et sous les branches brisées des arbres; quant aux autres, troublés par ce coup inattendu, ils furent massacrés par les Gaulois, qui cernaient en armes toute l’étendue du défilé.

Sur une armée si considérable, quelques soldats seulement furent faits prisonniers, en cherchant à gagner le pont, où l’ennemi, qui en était déjà maître, les arrêta. Ce fut là que périt Postumius, en faisant les plus héroïques efforts pour ne pas être pris. Ses dépouilles et sa tête, séparée de son corps, furent portées en triomphe par les Boïens dans le temple le plus respecté chez cette nation ; puis, la tête fut vidée, et le crâne, selon l’usage de ces peuples, orné d’un cercle d’or ciselé, leur servit de vase sacré pour offrir des libations dans les fêtes solennelles. Ce fut aussi la coupe du grand pontife et des prêtres du temple. Le butin fut pour les Gaulois aussi considérable que l’avait été la victoire ; car, bien que les animaux, pour la plupart, eussent été écrasés par la chute de la forêt, n’y ayant pas eu de fuite ni par conséquent de dispersion des bagages, on retrouva tous les objets à terre, le long de la ligne formée par les cadavres.

Tite-Live, Histoire Romaine – XXIII, 24 (voir ici)
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« Dans l’annalistique romaine le désastre est daté de 216 avant notre ère et la localisation de la défaite chez les Boïens, avec des détails concrets et vraisemblables sur le sort de la tête de Postumius, ajoute à l’historicité. Mais ces arbres qui tombent de proche en proche sur une armée entière pour l’anéantir constituent une réalisation technique touchant de trop près à la perfection pour ne pas appeler le scepticisme. Il y faut une synchronisation trop bien réglée. Toute magie est absente et le nom des druides n’est pas prononcé, mais le stratagème végétal ne s’explique pas par la réalité historique. Nous admettrons par conséquent que Tite-Live a transposé tant bien que mal un mythe gaulois dans l’histoire romaine. Il reste que les gaulois cisalpins avaient une religion organisée, un culte et des prêtres. »

Christian Guyonvarc’h  – Les Druides
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L’illustration « Snow elves endure the cold of their remote mountain lands » – Jamie Lombardo, Dragon N° 155, TSR, March 1990.

6 réflexions sur “La guerre végétale, Tite-Live, 216 av JC.

  1. Merci de m’avoir fait retrouver Tite Live.
    Cela m’a fait remonter le temps, temps des études classiques où je planchais sur les traductions latines. Osee a raison, votre blog est une mine précieuse de renseignements. Bon week end. Françoise.

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