Pharsale de Lucain livre III, description du bois sacré près de Marseille que César fit abattre, en 49 av. J.-C.

« Il était une forêt sacrée, vieillie loin des outrages du fer, enfermant, sous la voûte impénétrable de ses rameaux, un air ténébreux et des ombrages que l’éternelle absence du soleil a glacé. »

« Là ne règnent point les Faunes champêtres, les Nymphes et les Sylvains, divinités bocagères, mais un culte barbare, et le terrible édifice des autels infernaux. L’expiation a marqué tous les arbres d’une couche de sang humain. S’il faut en croire la superstitieuse antiquité, l’oiseau craint de se poser sur ses branches, la bête fauve de se coucher dans ces antres. Jamais le vent, jamais l’éclair arraché au lugubre flans des nuages n’est descendu sur cette forêt : sans recevoir dans leur feuillage le moindre souffle d’aire, les arbres se hérissent et frissonnent d’eux-même. »

« De vingt sources tombe une onde noire. Les mornes effigies des dieux sont des ébauches sans art, des troncs informes et grossièrement taillés. La mousse qui les couvre, et leur vétusté livide, inspirent seules l’épouvante. La divinité, représentée sous forme connue, semble moins redoutable : tant notre terreur s’augmente du mystère qui environne les dieux. »

« Et les bruits de la renommée : souvent la terre avait tremblé, souvent avaient mugi les cavernes profondes, les ifs se renversaient et se relevaient soudain ; la forêt, sans se consumer, s’illuminait de tous les feux de l’incendie ; et sur le tronc de chênes, des dragons entortillés glissaient à longs replis… Les peuples n’osent fréquenter ce temple de leur culte : ils l’ont abandonné aux dieux. Lorsque Phébus est au milieu de sa course, ou que la nuit sombre occupe le ciel, le prêtre lui-même pâlit à ses approches, et craint de surprendre le maître de ces demeures. »

« César veut qu’on porte le fer dans cette forêt et qu’elle tombe. Car, voisine, de ses travaux, et respectée dans la guerre précédente, elle dominait, de sa futaie hautaine et touffue, les monts dépouillés d’alentour. »

« Mais les mains tremblèrent aux plus braves ; troublés par la formidable majesté du lieu, ils croyaient qu’en frappant ces chênes sacrés, les haches reviendraient sur eux-mêmes. »

« César voyant ses soldats immobiles et consternés, saisit le premier une cognée, la balance d’un bras hardi, et entame un chêne qui touchait aux nues. Le fer s’enfonce dans l’arbre profané. « Et maintenant, s’écrie César, abattez sans crainte cette forêt, je prends sur moi le crime.  » Aussitôt l’armée entière obéit ; non pas qu’elle soit bien rassurée, mais elle pèse la colère des dieux et celle de César. »

« Les ormeaux tombent, l’yeuse vacille sur son tronc noueux, l’arbre de Dodone, l’aune ami des flots, le cyprès, témoignage toujours refusé aux trépas plébéiens, inclinent pour la première fois leurs têtes chevelues, et leurs cimes désunies livrent passage à la clarté du jour. Toute la forêt s’ébranle, mais son épaisseur la soutient dans se chute. »

« À cette vue, les peuples de la Gaule gémirent ; les assiégés s’en réjouissent. Qui pourrait croire en effet que les dieux sont impunément offensés ? mais la fortune prend sous sa garde bien des criminels, et la colère des dieux n’est puissante que contre les misérables. »
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La Pharsale de M. A. Lucain : traduction nouvelle.
Tome 1 Livres I-III, traduction par M. Philarète Chasles, pp.143-147.
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Lire l’article sur la forêt de Sainte Baume dans le Var, ici.

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