Avant-propos : Frazer emploie le terme Aryen pour désigner les peuples indo-européens, il a écrit ce texte en 1911-1915, bien avant la montée du nazisme et loin des thèses racistes de la prétendue supériorité de la race Aryenne. (Article scindé en deux, le début est ici).
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« D’après ce qui précède nous pouvons conclure que les Aryens primitifs d’Europe vivaient dans les bois de chênes, se servaient de branches de chêne pour alimenter leurs feux, de bois de chêne pour construire leurs maisons, leurs routes, leurs canots et que les glands formaient la nourriture de leurs porcs et, en partie, de la leur. Quoi d’étonnant donc, que cet arbre dont ils recevaient tant de bienfaits jouât un rôle important dans leur religion, et fût investi d’un caractère sacré ?
Nous avons vu que le culte des arbres a été universel et que, n’étant au commencement que respect et crainte de l’arbre, animé lui-même par un esprit puissant, il s’est transformé peu à peu en un culte des dieux et des déesses des arbres. Et aussi que ceux-ci, suivant les progrès de la pensée, se sont de plus en plus détachés de leur ancienne demeure dans les arbres, pour revêtir le caractère de divinités des bois et de puissances de la fertilité en général, de qui l’agriculteur attend non seulement la prospérité de ses récoltes, mais la fécondité de ses animaux et de ses femmes. Partout où cette évolution s’est produite, elle s’est développée avec une extrême lenteur. »
« Bien qu’il soit commode de distinguer, en théorie, le culte des arbres de celui des dieux des arbres, il est impossible d’établir, dans la pratique, une ligne de démarcation très nette entre les deux et de dire : « Voici où commence l’un, et où l’autre finit ». Précieuses pour l’étude et la classification, ces distinctions échappent cependant en général à l’esprit plus lourd de l’adorateur des arbres. Nous ne pouvons donc espérer mettre le doigt sur le point précis de l’histoire des Aryens où ils cessèrent d’adorer l’arbre pour lui-même, et se mirent à adorer un dieu du chêne. S’il était possible de l’indiquer théoriquement, ce moment avait dû certainement être dépassé depuis longtemps, par les plus intelligents de nos ancêtres, du moins avant qu’ils émergent à la lueur de l’histoire. Il faut nous contenter, le plus souvent, de trouver parmi eux des dieux pour qui le chêne était un attribut et un accessoire sacré plutôt que le principe. Si nous voulons trouver l’origine du culte de l’arbre lui-même, nous devons l’aller chercher chez le paysan ignorant de nos jours et non chez les écrivains éclairés de l’antiquité. Il faut se souvenir en outre que, tandis que tous les chênes étaient probablement l’objet d’une crainte superstitieuse, au point qu’avant d’abattre un arbre pour le brûler ou pour l’utiliser à la construction, il fallait accomplir des cérémonies afin d’apaiser l’esprit offensé de l’arbre, seuls certains bosquets particuliers, ou certains arbres, recevaient cette sorte d’hommages que nous qualifierons de culte. Très diverses pouvaient être les raisons qui poussaient les hommes à vénérer certains arbres plutôt que d’autres. L’âge vénérable et les dimensions imposantes d’un chêne géant devaient compter pour beaucoup. Et tout autre signe frappant qui distinguait un arbre des autres devait attirer l’attention et concentrer sur lui la terreur vague et superstitieuse du sauvage. Nous savons par exemple que pour les druides le gui sur un chêne marquait l’arbre comme particulièrement sacré ; et la rareté de ce fait – car le gui ne croît pas sur les chênes en général – devait augmenter le caractère sacré et mystérieux de l’arbre. Car c’est ce qui est étrange, merveilleux, rare, et non pas ordinaire et familier, qui excite les émotions religieuses de l’humanité. » Lire la suite