Dossier : Les pièges verts de la biomasse

La baleine 178Un dossier sur la biomasse réalisé par Reporterre en partenariat avec Les Amis de la Terre. Il est publié dans Le Courrier de la baleine n°178.

  • Bon est le bois, mais à juste échelle – Hervé Kempf
  • Aspiré par des centrales géantes, le bois n’est plus écologique – Barnabé Binctin
  • La forêt n’est pas inépuisable – Sylvain Angerand
  • La méthanisation, une bonne solution menacée par le gigantisme
  • Jardiner la forêt plutôt que l’exploiter, pour arriver au bois bio

J’ai choisi de diffuser les trois premiers articles, la suite du numéro est disponible sur leur site internet et/ou en téléchargement en fin d’article.

Bon est le bois, mais à juste échelle

Ah, qu’il est difficile d’être écologiste ! A peine avancez-vous une solution pour répondre à la crise écologique que le capitalisme s’en empare, et la détourne au service de son système, aggravant encore le problème. La biomasse, qui désigne l’ensemble des matières organiques d’origine végétale, animale ou fongique pouvant devenir source d’énergie par combustion, après méthanisation ou transformation chimique en est un bon exemple. Aujourd’hui l’une des principales énergies renouvelables, pourra-t-elle le rester longtemps si la pression qu’elle fait peser sur le bois-énergie se maintient ? Depuis longtemps, face à l’impasse énergétique, et parce que le vent et le soleil ne peuvent suffire à répondre à celle-ci, les écologistes rappellent l’importance du bois : il a été la source d’énergie essentielle de l’histoire de l’humanité, il pourrait le redevenir après la longue parenthèse des fossiles.

Mais à peine le message commençait-il à être entendu qu’il était transformé en un savant dispositif qui, à coup d’aides publiques, conduit à l’industrialisation des forêts, et à la mise en place d’immenses centrales de production d’électricité. Bilan en gaz à effet de serre : nul. Bilan en dividendes pour les grandes entreprises : excellent.

Quant à prendre en compte la forêt comme écosystème, jouant un rôle dans l’équilibre de la biosphère, quant à sentir la magie qu’exprime en silence cette compagne de toujours de l’humanité, il ne faut pas y penser. Elle est mise en coupe réglée, transformée en mètres cubes, en tonnes de CO2, en kilowatt, en euros.
Le même constat peut être fait pour la méthanisation, bonne idée transformée en monstre destructeur de l’agriculture paysanne, et pourrait être poursuivi pour toutes les énergies renouvelables.

Peut-on résister à cette folie ? Oui, bien sûr. Le point de départ est de se rappeler que la question écologique ne peut pas avoir une réponse seulement technique : elle appelle une analyse systémique, prenant en compte l’humain, la biosphère, l’ensemble des relations entre vivants dont l’économie n’est qu’un filtre réducteur. Et ce qui ressort du dossier réalisé en commun par les Amis de la Terre et Reporterre, c’est que nous pouvons nous chauffer de bon bois et de bonne biomasse, à condition d’être dans une logique de petite échelle et de relocalisation.

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Aspiré par des centrales géantes, le bois n’est plus écologique

Le développement de la filière bois-énergie sonnera-t-il la fin du bois comme énergie écologique ? Méga-unités de production, valorisation en électricité seule, agrocarburants, concentration industrielle et accaparement de terres, Reporterre présente les risques qui pèsent sur la filière.

La foret de demain  © Tommy - Les amis de la terre

De 14 % aujourd’hui à 32 % en 2030 : la loi de Transition énergétique veut donner aux énergies renouvelables une part importante dans le mix énergétique français. La première d’entre elles est le bois, qui a fourni en 2012 dix millions de tonnes équivalent pétrole sur les 22,4 de production primaire d’énergie renouvelable en France – soit le double de l’hydraulique, qui devance elle-même de loin le vent et le soleil.

L’enjeu du bois-énergie est donc majeur. Et depuis 2005, la Commission de régulation de l’énergie a mené quatre appels d’offre de projets de centrale de cogénération, valorisant simultanément le bois en chaleur et en électricité. En 2011, le dernier appel d’offre, dit « CRE 4 », a retenu quinze projets pour un total de 420 mégawatts (MW), marquant un changement d’échelle de la filière bois énergie, désormais orientée vers de plus grandes unités de production. Surtout, il ouvre la porte à des centrales uniquement électriques.

Prévue pour entrer en opération en 2015, la centrale de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, symbolise cette croissance industrielle. Ancienne centrale thermique à charbon, elle est reconvertie en plus grosse centrale biomasse de France, avec une puissance de 150 MW d’électricité, sans cogénération. Ce développement massif de la filière bois-énergie remet pourtant en cause les fondements-mêmes qui la justifiaient : le bois peut-il encore être considéré comme une énergie écologique ?

« Une forêt n’est pas un puits de pétrole »

Le postulat de départ est que, non seulement la ressource est renouvelable, mais qu’elle est abondante. Le dernier inventaire forestier réalisé par l’Institut géographique national estime ainsi que 30 % du territoire métropolitain est recouvert de forêt. Et la ressource croît : « La production biologique des forêts a augmenté depuis qu’on l’évalue », reconnaît Richard Fay, du collectif SOS Forêt.

Pour la compagnie E.ON, qui aura besoin de 850 000 tonnes de bois par an dans l’exploitation de la centrale de Gardanne qu’elle reconvertit, l’argument justifie le projet : « Dans la région PACA, la forêt représente la moitié du territoire régional, sachant que la surface a doublé en peu de temps, pour une production annuelle de 2,5 millions de tonnes de bois », a expliqué sur France 3 Pierre-Jean Moundy, responsable des relations institutionnelles biomasse du groupe allemand.

Mais il s’agit d’un volume théorique : « On ne peut pas raisonner seulement en production de bois, il faut prendre en compte aussi l’âge, la qualité et l’accessibilité du bois », observe Jérôme Freydier, ingénieur à l’Office National des Forêts (ONF). D’autant plus que d’autres industries ont besoin de bois : le mobilier ou la papeterie, notamment. La papeterie de Tarascon vient concurrencer l’approvisionnement de Gardanne. Cette pression accrue sur la ressource pourrait remettre en cause sa pérennité. « On n’exploite pas une forêt comme on exploite un puits de pétrole. La question du pas de temps est fondamentale : le bois nécessite une gestion raisonnée », insiste Serge Defaye, vice-président du Comité interprofessionnel du Bois-énergie. Opposée au projet Syndièse, à Saudron (Haute-Marne), dans lequel le CEA veut utiliser la biomasse forestière pour produire des agrocarburants de deuxième génération, l’association Mirabel constate la même difficulté d’ « adéquation avec les potentialités réelles de la ressource  » : « Si on prélève trop, on décapitalise la forêt et la ressource ne peut plus être considérée comme renouvelable ». Cette nouvelle « guerre du bois » pose donc la question de la pertinence de son utilisation à des fins énergétiques. Si l’énergie est majoritairement valorisée sous forme de chaleur, le rendement est « excellent » selon la Fedene (Fédération des services énergie environnement). Mais la tendance actuelle est surtout de produire de l’électricité.

Fin 2013, la France comptait déjà 28 sites de production d’électricité à partir de cette « biomasse solide », pour une puissance totale de 304 MW. Mais quand on n’utilise la combustion du bois que pour produire de l’électricité, le rendement énergétique est médiocre, de l’ordre de 30 %. « Pour dix arbres coupés, trois seulement serviront vraiment à faire de l’électricité. Le reste part sous forme de chaleur », détaille Jean Ganzhorn, ingénieur en énergie. Le rendement net, prenant en compte l’énergie « grise » nécessaire à la production elle-même, ne serait même que de 18 % : « Sur les trois arbres, la moitié est utilisée pour l’ensemble du processus ». Sans cogénération, produire de l’électricité à partir du bois serait donc une « aberration ». « Brûler du bois sert à faire de la chaleur, et si on peut récupérer de l’électricité, tant mieux. Mais l’inverse n’a pas de sens », dit Jean Ganzhorn.

Une énergie « propre » : quel impact carbone ?

Il faudrait également chercher la cohérence dans le dimensionnement des usines, afin de réduire au maximum les émissions de CO2. « Il faut rester dans des infrastructures de taille moyenne, proches de la ressource, et ne pas tomber dans une logique de concentration industrielle » explique Serge Defaye.

Car le bilan carbone ne se calcule pas seulement lors de la combustion du bois : « Il y a aussi toutes les étapes de récolte, de transformation et de transport » énumère Frédéric Amiel, chargé de mission à Greenpeace. Le rapport de l’ONG sur la « biomascarade » dénonce ainsi « les fausses allégations de carboneutralité [qui] cachent des impacts climatiques majeurs ».

A ce compte, la centrale de Gardanne devrait ainsi se révéler bien moins neutre que sa présentation officielle ne l’affirme : il faudra chaque jour que 250 camions acheminent un bois prélevé dans un rayon de 400 km, et importer du bois du Canada pour compléter l’approvisionnement que la ressource locale ne suffira pas à garantir.

Cette absurdité n’est pas spécifique à la France. « Prises ensemble, les centrales à biomasse de Grande-Bretagne nécessitent 60 millions de tonnes de bois par an. C’est environ sept ou huit fois la production annuelle des forêts du Royaume-Uni », assure Nicholas Bell, du réseau SOS Forêt. Ces importations massives de bois soulèvent d’autres problèmes comme l’accaparement des terres, comme l’explique un rapport récent de l’association Biofuel Watch.

« La biomasse-énergie est valable dans certaines conditions » conclut Jean Ganzhorn. Soucieux de la « juste mesure », Serge Defaye défend pour cela un raisonnement multicritère et progressif : « Est-ce que j’ai du bois, en circuit court, sans conflit d’usage ? Si oui, quels sont mes besoins en chaleur ? A partir de ces réponses, on peut réfléchir à faire de l’électricité, qui n’est qu’un sous-produit de la démarche ». Le problème, c’est qu’industriels et décideurs suivent la démarche inverse…

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La forêt n’est pas inépuisable

L’apparente disponibilité de la forêt est un leurre. Décryptage des Amis de la Terre qui alertent sur la diminution du gisement et les arbitrages à faire dans le cadre d’une transition écologique.

Arbre qui cache ecosysteme © Tommy - Les amis de la Terre

A en croire les chiffres qui circulent, la forêt française serait en danger… de sous exploitation. Le Grenelle de l’Environnement a ainsi fixé à 21 millions de mètres cubes (Mm³) la quantité de bois supplémentaire à mobiliser à l’horizon 2020, un chiffre confirmé depuis par les Assises de la Forêt en 2014. Même le scenario Afterres 2050 – qui constitue le volet territorial du scénario de transition énergétique Negawatt – suggère la possibilité d’augmenter les prélèvements en forêt d’environ 60 Mm³ aujourd’hui à près de 110 Mm³ en 2050. La disponibilité biologique des forêts françaises étant aujourd’hui de l’ordre de 130 Mm³ aujourd’hui, il n’y aurait aucun risque de surexploitation.

Mais pour les Amis de la Terre, ces chiffres masquent une réalité plus complexe. De nombreux rapports alertent déjà sur le déficit de bois en Europe : il irait de 230 Mm³ à 400 Mm³ de bois à l’horizon 2020. Sur le banc des accusés : le développement des usages énergétiques du bois pour le chauffage, la production d’électricité et peut-être demain d’agrocarburants. En mai 2014, les Amis de la Terre Europe ont publié un rapport alarmant : il estimait qu’à l’horizon 2030, presque 40 % de l’espace productif forestier européen pourrait être mobilisé pour ce type d’usage.

Pour répondre à cette demande, les entreprises mobilisent une quantité croissante de bois d’éclaircie, de petits bois, de rémanents liés à l’abattage ou encore des sous-produits du bois issus du sciage. Même les souches et les brindilles, si importantes pour la fertilité des sols, intéressent les exploitants forestiers ! Jusqu’à présent ces gisements étaient le monopole des industriels de la trituration (industrie du papier et des panneaux) qui voient d’un très mauvais œil la concurrence nouvelle des énergéticiens. Non seulement, il faut partager mais en plus le gisement diminue avec la crise que connaissent les industriels du sciage. Car en forêt, tout est lié : pour produire 1 m³ de sciage, il faut transformer environ 2 m³ de grumes de qualité, elles-mêmes issues de la découpe d’environ 4 m³ de bois en forêt ; autrement dit, à 1 m³ de sciage correspondent 3 m³ de « déchets » valorisables pour des usages énergétiques ou industriels.

Les forêts soumises à la rentabilité ?

Or les scieries françaises vont mal, en particulier les petites scieries de bois feuillus qui jouent un rôle si important en milieu rural : en vingt-cinq ans, la production de sciages a diminué d’environ 25 %. Une crise si profonde aujourd’hui que des bois de qualité (bois d’œuvre) qui pourraient être valorisés en sciage partent en fumée dans les cheminées comme le note une étude du ministère de l’Économie : « Près de 28 % de la récolte de bois d’œuvre n’est pas destinée à la première transformation. C’est un fait : de plus en plus de billes, notamment en hêtre, prennent la direction des industries de la trituration ou sont transformées en bois de chauffage. ».

Le risque est alors d’orienter la gestion des forêts françaises uniquement vers ce qui est économiquement rentable aujourd’hui – le bois d’industrie et d’énergie – et d’abandonner la tradition sylvicole de production de bois de qualité. Les impacts environnementaux et sociaux seraient catastrophiques. Car, avec une sylviculture proche de la nature, gérer une forêt pour produire des gros bois de qualité entraîne une augmentation du volume de gros bois mort, indispensable à de nombreuses espèces animales et végétales. A l’inverse, une monoculture de bois, avec des coupes très rapprochées, est compatible avec une valorisation énergétique ou industrielle, mais ne procure pas les mêmes bénéfices écologiques. En terme d’aménagement du territoire et d’emplois, les conséquences peuvent aussi être lourdes : mieux vaut un maillage de nombreuses petites scieries en milieu rural qu’une grosse usine de transformation.

Pour les Amis de la Terre, l’enjeu est donc de « re-politiser » la forêt c’est-à-dire d’ouvrir le débat aux citoyens et d’intégrer cette réflexion dans le cadre d’une transition vers des sociétés soutenables. La forêt, ça n’est pas que du bois, mais avant tout un écosystème dont le bois est une ressource, certes renouvelable, mais limitée. Des arbitrages sont donc indispensables entre les usages mais aussi les orientations de gestion. Aux arbres, citoyens !
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Le dossier est disponible en intégralité, à télécharger ici.

2 réflexions sur “Dossier : Les pièges verts de la biomasse

  1. À Montréal, depuis cette année, on interdit le chauffage au bois pour les poêles non conformes et toutes les sortes d’âtres (foyers). On a estimé que la pollution produite était importante. Cela ne va pas sans protestations. Une musique de circonstance: la maison sous les arbres. On clique ci-après. http://youtu.be/6b2Bn107Cac

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