L’if millénaire de l’église d’Offranville (Seine-Maritime)

À la fin du mois de janvier Sébastien m’a fait parvenir un reportage sur un autre if millénaire rencontré en Normandie [1], suivons-le à Offranville pour découvrir ce taxus antique qui est certainement le plus connu de son espèce en Seine-Maritime. (clic les photos)

«  Comme bien d’autres ifs de son âge, il vieillit paisiblement au pied d’une église, sauf qu’ici, le clocher tors rajoute au spectacle. L’ancien cimetière n’existe presque plus, mais lui, il est toujours là pour veiller sur les dernières tombes subsistantes. De loin l’arbre semble très bien conservé, mais de près, le tronc largement creusé, laisse passer la lumière. D’ailleurs une partie du tronc semble quasiment pétrifié. Comme si le bois mort pour ne pas disparaitre cherchait à se transformer en minéral. »

« Sa circonférence de 7,40 mètres à 1,30 m prouve son ancienneté, et il serait certainement plus gros et encore plus beau s’il n’avait jamais été incendié. [2
____

Comme il s’agit d’un arbre emblématique avec une vieille histoire, j’ai pris contact avec des habitants de la commune afin d’en apprendre plus, rapidement on m’a orienté vers le Photo Ciné Club Offranvillais. Jean-Jacques le président de l’association a accepté avec un vif plaisir de devenir reporter arboricole pour l’occasion, et outre la superbe série de clichés, il a réuni un maximum d’informations afin de dresser un portrait complet de cet ancêtre vénérable.

« M. Gadeau de Kerville, l’illustre botaniste qui étudia 113 des arbres remarquables de la Normandie de 1890 à 1932, réserva à l’if d’Offranville une étude particulière à la suite d’une visite qu’il en fit le 25 mars 1892. Il pensait alors que les ifs communs de Normandie (taxus boccata L) ne sont pas indigènes, mais il remarquait que leur importation devait remonter à une époque très reculée puisqu’ils existaient en abondance lors de la conquête de la Gaule par Jules César. »

« En 1931, après quarante années de recherches sur ce sujet, il conclut que, contrairement à ce qu’il pensait en 1892, l’if normand est bien un arbre de chez nous, qu’il est de l’espèce « dioïque », c’est-à-dire possédant des mâles et des femelles ; celui d’Offranville étant de cette dernière catégorie, en témoignent ses fruits rouges lorsqu’ils arrivent à maturité. »

« S’il en existe, en notre province, un certain nombre d’exemplaires sauvages, celui d’Offranville, de forme typique, fut planté par la main de l’homme. Nos aïeux plantaient… et cet if, à leurs yeux, placé dans le cimetière, avait, croyaient-ils, la propriété « d’absorber les miasmes nocifs s’exhalant de la décomposition des cadavres ». »

« Les « anciens » ont dit que la justice se rendait à l’ombre de ses branches et que le bénéficiaire du procès se voyait remettre par le juge une branchette de l’arbre, preuve du bien-fondé de sa demande. »

« Arbre de justice ou non, l’if d’Offranville était estimé millénaire en 1892, et cet âge n’était pas indiqué au hasard. Il avait alors, à un mètre du sol, une circonférence de 6,45 mètres. M. Gadeau de Kerville, fort des études qu’il avait faites et de la science qu’il avait acquise en botanique, savait qu’à partir d’un certain âge, l’if grossit de 2,25 millimètres par an. Après un savant calcul dont la recette ne nous est pas parvenue, il déduisit que l’arbre avait alors 1 008 années d’existence. Mais pour éviter toute erreur et tenir compte de certains aléas naturels, il conclut : « Je crois pouvoir admettre que son âge actuel (1892) est d’environ 900 à 1 100 ans… ». »

« Il a dû s’en passer des choses à l’ombre de ses branchages en 1 000 ans ! Il a admiré, impassible, la construction de l’église ; il fut témoin de mille fêtes, d’autant d’enterrements, il le fut aussi des luttes fratricides des Guerres de Religions ; il vit peut-être défiler les troupes dévastatrices de Charles-le-Téméraire, et quoi encore ?… mais peu de souvenirs sont parvenus jusqu’à nous. »

« Le 12 mars 1876, un ouragan l’endommagea sérieusement dans son coupeau ; en 1894, la foudre s’abattit sur ce moignon et le détruisit partiellement ; il fut élagué et recouvert d’une plaque de zinc. »

« La plus rude épreuve qu’il devait connaître, il la subit au crépuscule et dans la nuit du 4 décembre 1914. Ce soir-là, à la sortie du catéchisme, trois enfants eurent l’idée malheureuse de vouloir jouer à la messe à l’intérieur du tronc de l’arbre. Ils allumèrent des bouts de cierges chapardés dans la sacristie et, à leur grand effroi, ils virent les nombreuses radicelles de l’arbre s’enflammer… Ils déguerpirent sans en aviser quiconque. »

« Le cafetier-bourrelier, qui tenait commerce à l’emplacement de l’actuelle Maison de la Presse, voyant la fumée sortir de l’arbre, fit sonner le tocsin. Les pompiers arrivèrent rapidement, mirent la pompe à bras en batterie, la branchèrent sur la citerne du presbytère (l’eau sous pression n’existait pas) et conjurèrent le feu. Hélas, par trois fois, celui-ci se ranima à 21 heures, puis à 3 heures, puis enfin à 7 heures ; nos braves pompiers durent intervenir à nouveau. »

« Alerté, un officier de l’armée anglaise, cantonné à Hautôt-sur-Mer, botaniste dans le civil, conseilla de bourrer l’intérieur de l’if de bonne terre végétale pour éviter que l’arbre ne meure. Ce qui fut fait. Quelques années plus tard, dans la crainte de voir cette terre pourrir l’ensemble de l’arbre, il en fut totalement dégagé. »

« Ces soins sauvèrent-il l’if ? Nul ne peut l’affirmer ; en tout cas, il est là, toujours là et bien vivant, quoique certaines branches supérieures soient mortes et que le poids de certaines autres tendent à l’écarteler. La municipalité a d’ailleurs pris, en son temps, des dispositions de cerclage du tronc qui doivent le mettre à l’abri de tout accident de cette nature. »

« En 1994, Philippe Raymond, responsable de la multiplication et des collections au Muséum d’histoire naturelle de Paris, était venu prélever sur notre if – qui est rappelons-le une femelle – un lot de branches, un peu de terre et d’écorce du sol. En serre, les branches firent chacune une vingtaine de boutures ; certaines prirent racines et, au bout de neuf mois (oui !), on a replanté les petits ifs. »

« En remerciement, le Muséum d’histoire naturelle retourna trois bébés arbres à la municipalité d’Offranville, gardant les autres rejets à des fins scientifiques. C’est ainsi qu’en mai 2000, l’un d’eux a été solennellement mis en terre auprès de sa maman. »

Quel bonheur d’accueillir enfin cet if millénaire au cœur de la forêt ! Merci à toi, Sébastien, qui encore nous régale avec des sujets hors-normes et toujours avec tes mesures précieuses ; et merci  à Jean-Jacques, toutes ces photos et cet historique m’en ont tellement plus appris que ce que j’avais lu dans les livres. Un arbre qui a traversé les siècles, un millénaire et toujours vert…

Si durant le siècle dernier cet if a dû surmonter de nombreuses épreuves, il semble avoir repris de la vigueur et s’être étoffé, souhaitons que cet if s’épanouisse encore de nombreux siècles afin de transmettre tout son savoir à son rejeton.
____

Faites donc un tour sur le site du PCCO et découvrez leurs photos & activités, c’est par ici.

Jean-Jacques expose ses photos sur un site perso, allez voir son boulot, c’est juste par ici.
____

Han Van Meegeren lui a aussi consacré un article, à voir par ici.
____

Offranville est aussi connue pour le clocher tors de l’église, il s’agit d’un clocher où la flèche est en spirale. Il existe environ une centaine de clochers de ce type en Europe, voir ici.
____

L’if a été photographié par Henri Gadeau de Kerville le 25 mars 1892, et décrit dans le « Bulletin de la Société des amis des sciences naturelles de Rouen », imprimerie Lecerf, 1893.

– 

20 réflexions sur “L’if millénaire de l’église d’Offranville (Seine-Maritime)

    1. C’est Peut être du au Fait de leurs Emplacements ,
      Proche des Lieux de Cultes , ils avaient une Histoire ,
      Un Terrain plus Propice pour Traverser le Temps ,
      Et garder ces Hauts Lieux , par Symbole d’une Mémoire.
      NéO~

      Une beau Reportage Krapo 🙂

  1. Un article complet. Tout y est. Bravo et merci Sébastien et Jean-Jacques.
    J’ai tout de même des doutes sur son âge véritable (il a quand même grossi d’un mètre en un siècle), mais il n’en reste pas moins un vénérable de première catégorie. Une créature formidable!

  2. Si on s’en tient au travail d’Alan Mitchell :

    « L’if a un mode de croissance unique. Beaucoup poussent à la vitesse standard de 2,5 cm par an durant cent les premières années, mais leur croissance est rapidement réduite de moitié pour tomber ensuite, sur une période de 500 ans, jusqu’à 2,5 cm tous les 5 à 15 ans. La couronne est alors pleine de vigueur et en augmentation constante. Il est donc particulièrement difficile d’estimer l’âge d’un grand if d’une manière précise.
    « Pour aider à une estimation grossière : 2,5 m = 100 à 150 ans / 4,8 m = 300 à 400 ans / 6 m = 500 à 600 ans / 9 m = 850 à 1000 ans »

    Je vais dans ton sens sur l’âge de cet if,
    mais vu que la tradition le dit millénaire…

  3. Sisley

    Super article !! Je raffole de données du genre, si tous les arbres pouvaient documentés de la sorte on ouvrirait le musée des archives ligneuses ! (lol)

    Selon Jeroen Pater, les plus vieux ifs de France n’excéderaient pas les 900 à 1000 ans et ce sont ceux qui ont les circonférences les plus longues, comprises entre 8,50 et 10,50 m.
    Cependant, cet if à connu bien des déboires dans le dernier siècle et demi et à quand même bien évolué sur le diamètre, dès lors il devient difficile de quantifier, étant donné tous les paramètres utiles absents sur des siècles d’existence..

    On 7,40 m à 1,30 en 2010-11 et 6,45 m à 1 m en 1892, le diamètre semble plus fort vers 1 m du sol, donc aujourd’hui le tour à 1 m doit dépasser 7,40 m, en admettant que la différence est d’environ 0,30 m, ça nous amènes à 7,70 m, donc 1,25 m en 118 ans, soit 1,06 cm/an, il est clair que l’arbre est dans une phase descendante, tout en sachant que les multiples traumatismes on du le freiner sur des périodes plus ou moins longues.

  4. Richet sébastien

    L’âge des arbres antiques suscite toujours beaucoup d’interrogations. Difficile de trancher définitivement.
    Pour les ifs « sauvages », à partir de quelle circonférence peut-on considérer qu’ils sont remarquables ?

    1. Sisley

      J’aurai tendance à dire qu’un if sauvage ayant plus de 3,50 m de tour peut être considéré comme remarquable, c’est moitié moins que celui-ci, mais il faut savoir qu’avec des circonférences qui peuvent égaler un chêne bicentenaire, l’if aura presque le double en âge. De plus je n’ai que très rarement eu l’occasion d’en croiser de gros dans la nature.

      1. Salut NéO,

        oui ça va, je quitte mon appart et on va habiter chez un copain à Lucile pendant un mois, si tout va bien on aura le notre en avril. Mes bouquins sont rangés ailleurs et on a emprunté le wi-fi, alors ce n’est pas le top pour bloguer, mais je m’en sortirai ! Vivement que je trouve du boulot pour mettre des épinards sous le beurre…

  5. Okapi07

    Apparement , personne n’a vu la deuxième chose la plus belle du site ( après le if évidement ! ). Non , vous ne voyez vraiment pas ?

    Alors je vous le donne dans le mil : le clocher de l’église d’Offranville tourne de la gauche vers la droit : c’est un clocher tord , un des plus beau exemple de France en plus !

Répondre à jean-Louis Marguerin Annuler la réponse.